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Claude Hamonet

 

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Ehlers-Danlos :
Une maladie héréditaire fréquente et ignorée.
Une cause majeure de situations de handicaps
"invisibles" et de souffrances familiales accumulées.

 

Le syndrome d'Ehlers-Danlos (SED) apparaît aujourd'hui comme une maladie familiale systémique du collagène, responsable d'une diminution de la résistance et de l'élasticité du tissu conjonctif. Non ou très tardivement diagnostiquée malgré sa prévalence élevée, elle expose à des complications sévères, principalement par iatrogénie, et à de multiples situations de handicaps altérant la qualité de vie. Sa méconnaissance est universelle comme en témoigne la déclaration qui suit.

 

I - La situation dans le Monde

1 - La déclaration commune de plusieurs spécialistes du syndrome d’Ehlers-Danlos (forme dite "hypermobile" en particulier).

"Réunis à la Faculté de médecine de l’Université Paris-Est-Créteil pour le premier colloque international sur les traitements du syndrome d’Ehlers-Danlos, le 7 mars 2015, nous avons échangé et nos expériences et nos points de vue sur ce syndrome dont nous avons tous une expérience approfondie, surtout pour sa forme « hypermobile », connue aussi comme « syndrome d’hypermobilité articulaire ». Venus de pays et de disciplines différentes, nous avons constaté une grande convergence sur notre façon de l’identifier à partir des mêmes symptômes et des mêmes signes. Sur les traitements qui faisaient l’objet de ce colloque, il y a également de nombreux points de convergence à partir d’analyses communes de la physiopathologie, notamment du désordre proprioceptif et de la dysautonomie cardiovasculaire.

Un autre constat a été fait, c’est la méconnaissance, quand ce n’est pas le refus, de cette pathologie qui, pourtant, ne semble pas rare, contrairement à une opinion encore très répandue. Cette situation est dramatique pour les familles concernées par cette maladie génétique. Elles effectuent un parcours d’errance médicale plein d’embûches et d’accidents thérapeutiques dont certains peuvent être graves telles que les hémorragies.

Nous alertons les médecins, les décideurs de la santé sur un problème dont l'ampleur est sous-estimée ainsi que la sévérité de ses conséquences en termes d’exclusions sociales et de situations de handicaps personnelles. De plus, ce syndrome se retrouve dans les mêmes familles, avec une certaine variabilité ce qui implique que l’identification d’un patient permette le diagnostic du syndrome chez d’autres membres de la même famille. Il apparaît que ce syndrome est également réparti sur l’ensemble de la planète, d’après les observations de patients que nous avons pu faire. Les femmes sont souvent plus sévèrement atteintes. Les manifestations sont présentes dès l’enfance et menacent la scolarité et les apprentissages.

Des mesures d’informations vers tous les médecins sont à prendre .ainsi que l’enseignement de la réalité du syndrome et des moyens de le dépister et d’éviter les erreurs diagnostiques. Il s’agit d’une maladie systémique qui intéresse l’ensemble du tissu conjonctif humain du fait de mutations de collagènes, réalisant des tableaux cliniques souvent très riches. Cet enseignement doit concerner toutes les disciplines médicales et plus particulièrement : la génétique médico-clinique, la rhumatologie, les centres anti douleurs, la neurologie, la gastroentérologie, la chirurgie orthopédique, la pneumologie, la cardiologie, la gynécologie, l’obstétrique, l’urologie, l’hépato-gastro-entérologie, la médecine physique et de réadaptation, l’odontologie, l’ORL, L’ophtalmologie, la chirurgie abdominale, la chirurgie plastique et réparatrice, l’anesthésie-réanimation, les urgentistes, la phlébologie, l’imagerie médicale, la psychiatrie...

Les signataires, aidés par d’autres collaborations, sont prêts à rédiger un guide de diagnostic et de traitement qui pourrait servir de trame pour l’enseignement et l’information. Cet enseignement doit être actualisé pour répondre à la réalité clinique que nous rencontrons au quotidien. Il doit aussi contrer un certain nombre de préjugés face au syndrome, notamment celui de sa prétendue « bénignité ».

Professeur Jaime Bravo, Rhumatologue (Denver, Colorado/Santiago du Chili),
Docteur Marco Castori, Généticien (Rome),
Professeur Rodney Grahame, Rhumatologue (Londres),
Professeur Claude Hamonet, Médecine de Réadaptation/MPR (Paris),
Professeur Daniel Manicourt (Bruxelles).

 

2 - Pourquoi les médecins ne font jamais le diagnostic de la maladie d’Ehlers-Danlos ?

(Texte de la communication du Professeur Grahame, de l'université de Londres, qui fait autorité sur le plan international sur ce sujet, en introduction au premier colloque international francophone qui s'est tenu à la Faculté de Médecine de Créteil le 7 mars 2015)

Pr. Rodney Grahame

Le syndrome d'hypermobilité. Rodney Grahame, Hyperlaxity unit, University College London, Hospital of St John and St Elizabeth, 60 Grove End Road, London NW8 9NH, Great-Britain.

"C'est pour moi un grand privilège d'être invité à prendre la présidence d'un colloque aussi impressionnant sur le syndrome d'Ehlers-Danlos (SED). Mon intérêt pour ce syndrome m'a occupé plus de 45 ans. Ma première publication sur l'élasticité de la peau dans le SED date de 1969, une étude que j'ai faîte avec mon grand ami Peter Beighton de Londres.

Réunir plus de 200 médecins et chercheurs dans cette salle pour délibérer ensemble sur le syndrome d'Ehlers-Danlos pendant 9 heures est un exploit magnifique qui serait impossible, par exemple, dans mon pays car on constate le peu d'intérêt qu'ont les médecins pour les maladies du tissu conjonctif. Je suis rhumatologue et cela m'afflige de voir que mes collègues ne s'y intéressent pas. L'hypermobilité des articulations est un phénomène rhumatologique, mais ils s'occupent plutôt des maladies inflammatoires et ce sont ces malades avec un SED qui souffrent, sans diagnostic précis, sans traitement correct et souvent avec un accueil sans compassion. Je me demande souvent pourquoi est-ce que nos patients sont traités ainsi, sont négligés, ce qui contraste avec les patients qui souffrent d'autres maladies. Je crois qu'il y a plusieurs explications. Celle qui m'intéresse le plus est dans l'Histoire même du SED.

Je vais parler du syndrome d'hypermobilité articulaire parce que c'est ce syndrome que les rhumatologues identifient, ainsi que, probablement, d'autres médecins. Le problème est arrivé dès le début de ce syndrome. En 1967 est publié dans Annals of rheumatology diseases un article sur le syndrome d'hypermobilité musculo-squelettique généralisée chez des personnes considérées comme "autrement normales". C'est à dire que ces personnes ne sont pas du tout malades, qu'elles sont en bonne santé avec un aspect particulier de la normalité. C'est là qu'est le problème. L'erreur qui a été faîte a été de considérer qu'être hyperlaxe était seulement une autre façon d'être "normal". Cette idée s'est incrustée dans l'esprit des médecins. Ils pensent que c'est une maladie mineure, une maladie qui n'est pas "sérieuse", bref une maladie négligeable. Mais, depuis cette époque, on a beaucoup appris sur cette pathologie. Nous avons représentés ici, à droite, le cheminement de la description par les rhumatologues du syndrome d'hypermobilité articulaire et à gauche la description du syndrome d'Ehlers-Danlos type III par les généticiens. Ces descriptions ont commencé presque en même temps (1967/1968).

Si on suit l'Histoire de ces deux spécialités depuis le début, on observe que ces syndromes se ressemblent de plus en plus. En 2009, Tinkle et ses collaborateurs ont publié un article dans lequel ils disent qu'il est impossible de les différencier. Malheureusement, pendant ces quarante ans, les rhumatologues ne parlaient pas aux généticiens, et les généticiens ne parlaient pas beaucoup aux rhumatologues. Ils travaillaient et publiaient chacun de leur côté. C'est peu à peu que sont apparues leurs similarités. Au début, on observait des douleurs, une instabilité des articulations, et c'était assez simple. C'était seulement un problème d'articulations et ce n'était pas grave. Mais, peu à peu on a observé une évolution sur la notion des conséquences de la maladie. Tous les 10 ans, à peu près, on a trouvé d'autres manifestations qui ont enrichi son tableau clinique. Dans les années 70, on a observé un chevauchement avec les autres maladies héréditaires du tissu conjonctif telle que la maladie de Marfan. En 1980, ce sont les observations sur la présence de prolapsus utérins. En 1990, ce sont les publications sur les douleurs chroniques. À la même époque apparaissent les problèmes phobiques et l'anxiété. De façon continue on a découvert des aspects de la maladie qui n'étaient pas connus auparavant. À la fin du siècle c'est la dysautonomie, suivie par les troubles du contrôle moteur. A la fin de 2010, il est devenu évident qu'il y avait des situations de handicaps et qu'elles pouvaient s'aggraver. C'est un point très important pour une maladie qui, 40 ans auparavant, était considérée comme un problème mineur. Malheureusement, ce changement de concept n'est pas accepté par tous les médecins, ni tous les spécialistes et certainement pas par les rhumatologues. En général, on utilise les définitions de 1967, ce qui est très mauvais car les malades sont renvoyés à leurs souffrances.

Depuis 2010 on trouve de nouvelles manifestations associées : malformation d'Arnold-Chiari avec instabilité crânio-cervicale, le syndrome de "la moelle attachée", l'influence immunologique avec l'activation des mastocytes.

Comme on le voit, ce n'est plus maintenant une maladie bénigne, "mineure", mais un problème multisystémique très complexe. Cela veut dire que les traitements deviennent de plus en plus complexes. Cette maladie qui concerne tellement d'aspects de la santé, tant de systèmes corporels, nécessite un traitement de toutes les expressions symptomatiques. On doit faire appel à des équipes thérapeutiques suffisamment larges et diversifiées associant : rhumatologues (d'enfants et d'adultes), pédiatres, généticiens cliniciens, gastro-entérologues, urologue, gynécologue, cardiologue, neurologue, médecine physique, médecins du sport, médecins de la douleur, endocrinologue, chirurgien orthopédiste, chirurgien plasticien, obstétricien, kinésithérapeute, ergothérapeute, orthésiste, podologue en lien avec des équipes de chercheurs et un support administratif."

 

II - Que se passe-t-il en France ?

Les personnes atteintes sont dans une errance douloureuse, humiliante (le refus d'écoute est habituel: "c'est dans la tête"), exposées à des effets de iatrogénie par des traitements inadaptés et dangereux pour leurs tissus fragiles et l'hyper sensorialité de leur corps. La chirurgie, en particulier, est très souvent catastrophique et aggrave lourdement leurs limitations fonctionnelles. Devant l'intensité des symptômes, leur résistance aux médications habituelles, la négativité des explorations radiologiques et biologiques, la psychiatrisation est habituelle et bon nombre de personnes avec un SED ont été internées abusivement.

Cette situation catastrophique est due, principalement, à la très, très grande confusion sémiologique qui règne du fait de descriptions très incomplètes ou erronées du syndrome. La multiplicité des symptômes de cette maladie qui touche 80% du corps et la totalité des tissus de tous les organes apparaît bien déroutante pour des médecins essentiellement formés à une pathologie éclatée organe par organe en accordant beaucoup plus de poids à un signe paraclinique qu'à l'écoute du patient et à son examen clinique. En effet, dans cette maladie héréditaire, il n'y a pas de test génétique pour la quasi totalité des cas observés et le diagnostic est uniquement clinique mais formel devant un regroupement de symptômes particulièrement évocateurs et la présence d'un ou plusieurs cas identiques dans la famille. La transmission autosomique dépasse les prévisions des lois de Mendel mais avec des sévérités très variables avec beaucoup de formes frustes habituellement non diagnostiquées. Les femmes sont les plus nombreuses (80%) dans les consultations et sont significativement plus touchées que les hommes.

Les généticiens ont proposé (1997) une classification à Villefranche avec pour objectif de corréler les mutations génétiques avec le tableau clinique. Elle succède à la classification de Berlin (1986) qui distinguait 11 formes cliniques, réduites à 6 à Villefranche et en pratique à trois (forme vasculaire, forme classique et forme hypermobile). Des mutations de collagène ont été identifiées seulement pour les formes vasculaires et les formes classiques avec des résultats qui restent très improbables. Par contre pour les formes communes (dites hypermobiles) qui sont de très loin les plus fréquentes, il n'y a pas de marqueur génétique. L'emphase qui a été mise sur les formes vasculaires, dans lesquelles les anévrysmes artériels (possibles, en fait, dans toutes les formes) sont particulièrement fréquents avec le risque de ruptures aux conséquences dramatiques, a introduit une crainte, le plus souvent injustifiée, dès que les noms d'Ehlers et Danlos sont prononcés. Cette même emphase a eu un effet très pervers c'est d'opposer des formes graves (vasculaires) et les formes bénignes (toutes les autres) au mépris des difficultés énormes que rencontrent souvent ces patients "non vasculaires", certes, mais surhandicapés certainement. Il y a là un obstacle venant principalement des médecins conseils d'assurance et des commissions des Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) mais aussi de l'ensemble du corps médical qu'il faut impérativement et rapidement lever.

Pour cela, il faut réformer les critères du diagnostic, modifier et largement compléter ceux, insuffisants, de la classification de Villefranche, ne pas se baser seulement sur un test d'hypermobilité (Beighton) qui, pour universel qu'il est, n'en est pas moins imparfait, mal pratiqué et mal interprété, facteur de bien des rejets injustifiés du diagnostic. Il doit être remplacé ou complété. De plus, l'importance de l'hypermobilité n'est pas un indice de sévérité, puisque nombre de jeunes filles ayant une maladie d'Ehlers-Danlos excellent dans la danse, la gymnastique et même la voltige à cheval, avant la puberté.

Un nouveau regroupement des symptômes apparaît dans la littérature médicale internationale, dessinant un nouveau profil clinique de la maladie. Notre propre expérience et celle des médecins qui travaillent en lien avec nous rejoint ces évolutions. Elle s'appuie sur une cohorte de 2240 patients ayant une maladie d'Ehlers-Danlos, initiée il y a 17 ans, tous évalués avec la même grille clinique de diagnostic et de sévérité symptomatiques. Plusieurs analyses statistiques ont été effectuées et permettent une identification des signes les plus fréquents (à plus de 75%) ayant des caractéristiques de sensibilité (97%) et de spécificité (100%) très élevées et les plus évocateurs de cette maladie héréditaire du tissu conjonctif.

- Fragilité cutanée (La peau s'écorche facilement. Elle est fine, veloutée, cicatrisant mal, les vergetures sont importantes et précoces, elle est étirable, protégeant mal des décharges électriques à cause de sa minceur lors de l'ouverture d'une portière de voiture ou de la manipulation d'un caddy).
- Douleurs articulaires (depuis plus de 3 mois, variables avec crises souvent intenses, touchant plus de trois articulations, aggravées (avec un décalage de 24 heures souvent) par une activité physique, posturale, imposant de bouger sans cesse, de se lever, rebelles aux antidouleurs habituels.
- Fatigue souvent très importante, présente dès le réveil, accentuée en post-prandial avec une sensation fréquente d'épuisement.
- Désordres proprioceptifs (heurts de l'embrasure des portes ou des meubles, maladresses), craquements articulaires ou subluxations/luxations, entorses ou pseudo entorses.
- Rétractions (paradoxales dans ce syndrome connu par son hypermobilité) des muscles ischio-jambiers à la manoeuvre de Lasègue et ceci dès l'enfance.
- Hypermobilité articulaire dans l'enfance (mais ne persistant pas toujours à l'âge adulte).
- Hémorragies (ecchymoses, gingivorragies, ménorragies) exposant à des accidents lors de la chirurgie ou de la prise d'Aspirine et de traitements anticoagulants. Elles sont parfois responsables de fausses accusations de violences à enfants.

A côté de l'argument familial, fondamental dans cette maladie dépourvue de test génétique, mais largement transmissible selon un mode autosomique particulier, un autre critère diagnostic est l'effet positif des thérapeutiques reconnues comme particulièrement efficaces dans ce syndrome : orthèses (vêtements compressifs surtout), oxygénothérapie, Percussionnaire, actions antidouleur directement sur les tissus plutôt que sur les centres neurologiques, effets des anti parkinsoniens (L-DOPA) sur la dystonie fréquente et, le plus souvent, mal interprétée (psychiatrisée).

Certains points sont très importants et très mal connus : les difficultés respiratoires (première cause de recours aux urgences par les patients avec une maladie d'Ehlers-Danlos), les troubles cognitifs (mémoire, attention, orientation) et certaines manifestations psychopathologiques dans lesquelles, le rôle des perturbations du sens proprioceptif, véritable sixième sens, est impliqué.

 

Conclusions

Il est essentiel de prendre d'urgence des mesures appropriées face au grand nombre de familles concernées.

1 - Cesser de considérer cette maladie comme "rare et orpheline" alors qu'elle est fréquente et largement sous-diagnostiquée et d'en confier le diagnostic à des structures spécialisées dans les maladies rares. Une très large information et formation des médecins doit être faîte d'urgence pour dépister, traiter, orienter correctement ces patients jusqu'ici abandonnés par la médecine ce qui provoque leur exclusion des soins (refus fréquents des ALD pourtant justifiés) et de la vie sociale (refus fréquents de reconnaissance des MDPH déroutées par une symptomatologie qu'elles méconnaissent et sous-estiment).

2 - Mettre en place un réseau de soins appropriés (incluant la possibilité d'hospitalisations en cas de "crises d'Ehlers-Danlos" ou de bilans diagnostiques et thérapeutiques avec éducation à la prévention et aux traitements) en s'appuyant sur les structures de Médecine Physique et de Réadaptation et les centres de la douleur pour répondre aux besoins des personnes dépistées par l'information. Le thermalisme apparaît comme un cadre favorable à la mise en place éducative et thérapeutique comme nous l'avons déjà montré.

3 - Informer largement l'Education nationale des besoins spécifiques des enfants avec une maladie d'Ehlers-Danlos en sachant qu'ils sont souvent "doués" ou «très doués intellectuellement mais placés en situations de handicaps par des symptômes qui peuvent être combattus par une approche thérapeutique cohérente et intégrée avec l'activité scolaire (incluant le sport et l'activité physique).