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Claude Hamonet

 

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Syndrome d'Ehlers-Danlos (SED)
un piège diagnostique pour le neurologue,
un risque iatrogénique pour le patient

Ehlers-Danlos Syndrome (EDS),
a diagnostic trap for the neurologist,
an iatrogenic risk for the patient

  English version available here (PDF document. Size: 280 ko)

Hamonet C., MD, PhD (2), Fredy D., MD, PhD (3, 4), Tanay-Marié C. (5), Ducret L., MD (6), Bahloul H., MD (7), Guinchat V., MD (8), Schatz P.M., MD (9)

(1) UFR de médecine, Université Paris-Est-Créteil, rue du général Sarrail, 94010 Créteil, France
(2) Centre ELLAsanté, 19bis rue d'Astorg, 75008 Paris; France.
(3) Faculté De Médecine Paris Descartes, 24 rue du Fbg. St. Jacques, 75014 PARIS
(4) 87 rue Bobillot, 75013 PARIS
(5) 42 rue Beauvais, 14400 Bayeux, France.
(6) 99, Route des 4 Vents, Le Lyonnet, 74500 Saint-Paul-en-Chablais
(7) Centre anti douleur, Hôpital Robert Ballanger, boulevard Robert Ballanger, 93602 Aulnay sous bois, France.
(8) Service de pédopsychiatrie, Hôpital de la Salpêtrière, 47 boulevard de l'Hôpital, 75013 Paris, France.
(9) 5 rue de l'Est, 68100 Mulhouse, France.

Les auteurs ne déclarent pas de conflit d'intérêt.

 

Résumé:

Le syndrome d'Ehlers-Danlos apparaît aujourd'hui comme une maladie héréditaire systémique fréquente du tissu conjonctif aux expressions cliniques multiples et trompeuses, à l'origine de nombreuses erreurs de diagnostic, notamment en neurologie. Les descriptions fragmentées successives de ses signes par les Dermatologues (Tschernogobow, Moscou 1892, Ehlers Copenhague, 1900), les Rhumatologues (Bywaters, 1967), puis les Généticiens (Beighton, Capetown, 1969), explique les difficultés actuelles de son identification par une pratique médicale aujourd'hui centrée sur les pathologies d'organes, peu apte à reconnaître une maladie qui, à travers le conjonctif, les concerne tous. Ce fait est aggravé, à l'époque de la biomédecine triomphante, par l'absence de marqueur biologique dans les formes les plus communes de ce syndrome. Le diagnostic est clinique et repose sur l'association des signes suivants: douleurs, fatigue, troubles proprioceptifs, hypermobilité articulaire, rétractions des fléchisseurs des genoux chez l'enfant, minceur et fragilité de la peau, troubles vasomoteurs, syndrome hémorragique, hypersensorialité incluant audition, olfaction et réactions vestibulaires, troubles digestifs, associés à d'autres cas familiaux. Les confusions diagnostiques les plus souvent rencontrées en neurologie se font avec la sclérose en plaques, les accidents vasculaires cérébraux, les dystrophies musculaires, les conséquences neurologiques de la pathologie discale, les vessies neurologiques, une comitialité devant une manifestation spectaculaire de la dystonie qui est fréquente dans ce syndrome. Les confusions avec une pathologie mentale (dépression, syndrome bipolaire, anorexie mentale, somatisation) conduit à des hospitalisations sont fréquentes. Elles sont favorisées par la présence de troubles cognitifs, coexistant avec des capacités intellectuelles très performantes. Le pic des symptômes à l'adolescence, leur expression plus intense chez les femmes (80% des consultants) est probablement un facteur incitatif pour attribuer un caractère psychosomatique aux symptômes rencontrés. Un lien avec l'autisme existe. Les possibilités d'accidents d'anévrysmes artériels cérébraux, possibles dans toutes les formes du syndrome et de syndrome d'Arnold-Chiari doivent aussi être connues des neurologues.

Key words: Ehlers-Danlos, Joint hypermobility syndrome, iatrogeny, neurology, psychiatry, multiclerosis, proprioceptive disorders, chronic pains, cognitive disorders, asthenia, fibromyalgy, dystonia, autism, history of medicine.

Introduction

Le syndrome d'Ehlers-Danlos a subi, ces 20 dernières années, un important remaniement de sa séméiologie et les critères diagnostics ont beaucoup évolué (1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10). Cette diffusion explique sa symptomatologie, très diversifiée, déroutante et trompeuse pour le médecin qui ne la connaît pas. Elle peut conduire à des diagnostics erronés de maladies neurologiques ou psychiatriques avec des conséquences, par iatrogénie, graves lors d'explorations invasives comme la ponction lombaire, ou de traitements médicaux ou chirurgicaux à risques pour ces patients aux tissus particulièrement fragiles.

Brève reconstitution de 124 ans de l'Histoire chaotique du syndrome d'Ehlers-Danlos.

Si l'on retrace l'Histoire de la description de cette maladie (11, 12) à travers les intérêts successifs des dermatologues, des rhumatologues (hypermobilité articulaire), des généticiens (recherche de mutations des collagènes et classification génétique), on comprend mieux pourquoi une pathologie aussi fréquente n'est jamais diagnostiquée ou avec un retard moyen de plus de 20 ans (13) après l'apparition des premiers signes.

Ce sont les manifestations, les plus apparentes, celles de la peau, qui ont d'abord attiré l'attention des médecins. Le dermatologue Nicolai Alexandrovitch Chernogubow décrit deux cas à la Société de Dermatologie et de syphiligraphie de Moscou en 1882 (14). Les Russes donneront son nom à la maladie. C'est, en 1900 (15), à Copenhague, qu'Edvard Ehlers présentera à la Société de Dermatologie et de Syphiligraphie de Copenhague le cas d'un étudiant en Droit. Dans cette description figurent déjà trois signes clés pour le diagnostic: fragilité de la peau, instabilité articulaire et hémorragies, le côté héréditaire est également évoqué. Malheureusement, ces descriptions ont été oubliées ou, peut-être même, n'ont jamais été lues. C'est alors que survient l'erreur de Danlos qui décrit, en 1908, à la Société française de Dermatologie et Syphiligraphie un cas de pseudo Xanthome élastique (16) avec une étirabilité cutanée très importante, inhabituelle dans le syndrome d'Ehlers-Danlos (17). Malheureusement, ce signe décrit comme "extraordinaire" par Danlos est encore, à tort, retenu comme un critère nécessaire au diagnostic par certains médecins. A partir des années 1950, deux autres spécialités naissantes s'impliquent dans cette maladie: la Rhumatologie et la Génétique.

Du côté des Rhumatologues, s'est développée l'idée, encore très répandue, qu'il ne s'agissait pas d'une maladie mais d'une curiosité de la nature, une autre façon d'être "normal" (18), à la fois "monstrueuse" et "amusante", qui oriente vers une carrière dans les cirques ou dans les "freak shows" (19). Ils ont retenu l'appellation d'hypermobilité articulaire bénigne (20). Cette notion de bénignité reste encore très souvent attachée, jusqu'à maintenant, à cette pathologie, les nombreuses autres manifestations associées étant systématiquement "basculées" dans la psychopathologie. Ou bien, elles sont étiquetées fibromyalgie. En effet, du fait d'une erreur de "casting", des rhumatologues français et américains, ignorants du syndrome d'Ehlers-Danlos, ont choisi plusieurs signes du SED (douleurs rebelles, fatigue, troubles du sommeil, point douloureux multiples, prédominance féminine), pour "créer" une nouvelle pathologie.

Du côté des généticiens, le caractère héréditaire a été reconnu dès 1949 (21). Il a, très vite, conduit à des essais de classification en types qui relient une mutation du collagène à un tableau clinique. Initialement trois formes ont été identifiées par Barrabas (22), puis 11 à Berlin (23), 6 à Villefranche (24) et 13 à New York (25). Les différences cliniques entre les types décrits sont minces et leur ressemblance est évidente. Les test génétiques, identifiés pour quelques unes, considérées comme rares ou très rares, sont inaccessibles en pratique clinique courante. De plus, leur fiabilité n'est pas absolue. Ils sont absents (23, 24, 25) dans le type qui recouvre la quasi totalité des cas rencontrés. La preuve du caractère héréditaire est, par contre, très naturellement mise en évidence, en retrouvant d'autres cas dans les familles concernées. La transmission dépasse très nettement les prévisions des lois de Mendel. Dans notre expérience personnelle qui s'appuie, sur plus de 4000 personnes diagnostiquées en 22 ans, la présence des signes cliniques d'atteinte du conjonctif, évocateurs du syndrome d'Ehlers-Danlos, sont présents chez tous les enfants dont un au moins un des parents est atteint.

Le diagnostic d'Ehlers-Danlos repose, aujourd'hui, sur les seuls arguments cliniques qui sont suffisants.

Plusieurs cliniciens, Rhumatologues comme Rodney Grahame (Londres, 3, 4) et Bravo (Santiago du Chili, 5), Algologue comme Pradeep Chopra (USA, 6), Psychiatre comme Antonio Bulbena (Barcelone, 7) ou spécialiste de Médecine Physique et Réadaptation (8, 9, 10) ont rénové totalement la description de cette pathologie, à partir d'un nouveau regard sur la description des symptômes par les patients et leur famille. Dans une étude récente (10) sur 636 patients, issus d'une cohorte de 2677 patients (80% de femmes), nous avons mis en évidence les signes suivants: douleurs multiples rebelles (93%), fatigue importante (95%), troubles du sommeil (85%), rétractions des muscles ischio-jambiers (hamstrings) (54,2%), troubles proprioceptifs moteurs (87%), dystonie (66%), hypermobilité articulaire (96%), fragilité cutanée (69%), étirabilité cutanée excessive (73%), désordres neurovégétatifs (76%), tendance hémorragique (83%), manifestations respiratoires (79%), hypersensorialités cutanée (69%) auditive (75%), olfactive (71%), vestibulaire (89%), troubles de la vision binoculaire (80%), troubles digestifs importants (70%), altérations bucco-dentaires importantes (70%), troubles vésico-sphinctériens (59%), dyspareunie (61%), accidents obstétricaux (66%), troubles cognitifs (68%) contrastant avec une intelligence nettement développée, troubles de l'affectivité et du comportement dont certains sont en lien avec le spectre autistique (26, 27).

Douze de ces critères ont été sélectionnés comme particulièrement significatifs :

1-les douleurs articulaires,
2-la fatigue,
3-les troubles proprioceptifs du contrôle de la motricité,
4-l'instabilité articulaire (entorses, luxations/subluxations),
5-la peau fine, transparente, fragile ne protégeant pas contre l'électrostatisme,
6-l'hypermobilité articulaire,
7-les rétractions des muscles fléchisseurs des genoux chez l'enfant,
8-les troubles vasomoteurs des extrémités évoquant à tort un syndrome de Raynaud,
9-les hémorragies cutanées et sous cutanées (ecchymoses),
10-l'hyperacousie,
11-la constipation,
12-les reflux gastro oesophagiens.

La présence de cinq d'entre eux suffit pour affirmer le diagnostic d'Ehlers-Danlos (spécificité: 99.10%, sensibilité: 98.63%). L'absence d'un critère (y compris l'hypermobilité) ne peut l'éliminer.

Par contre, un argument très important est la mise en évidence du caractère héréditaire avec la découverte d'autres cas familiaux chez le père ou la mère (ou les deux), chez les enfants, les collatéraux en lien familial direct avec le personne chez qui le diagnostic est évoqué.

Les embûches diagnostiques pour le neurologue.

Du fait de l'importance des douleurs et des troubles moteurs, les maladies neurologiques figurent parmi les diagnostics de substitution à celui d'Ehlers-Danlos, les plus souvent rencontrés. La suspicion de non organicité devant une multiplicité des symptômes subjectifs, l'association à des troubles cognitifs et de l'affectivité orientent fréquemment vers une pathologie psychiatrique, notamment de la part des neurologues, du fait de la négativité des investigations neurologiques cliniques et paracliniques.

Quelques éléments physiopathologiques pour une meilleure interprétation des symptômes.

Les signes observés ont deux origines : la fragilité tissulaire (saignements, troubles de cicatrisation) et un trouble diffus de la proprioception. Ce désordre proprioceptif est lié à la perturbation des messages transmis par les capteurs intéro et extéroceptifs qui sont situés dans un tissu qui a une réactivité particulière aux stimulations. Ceci est vrai pour la peau qui peut être hyperesthésique ou, à l'inverse, ne pas transmette une sensation de brûlure. Ceci est également vrai pour la vessie qui, très souple, se laisse distendre et n'envoie pas aux centre médullaires, l'information sur sa réplétion accompagnée du besoin d'uriner. Ceci peut aboutir à un état de rétention vésicale chronique. Le trouble proprioceptif est généralisé et concerne aussi bien la motricité volontaire consciente que la motricité automatique, le contrôle neurovégétatif que la vision binoculaire. Ainsi, les personnes avec un syndrome d'Ehlers-Danlos ont une perception très particulière de leur corps depuis la naissance, ce qui peut compliquer le diagnostic car elles considèrent que "c'est normal".

La sclérose en plaques

La sclérose en plaques est souvent évoquée, du fait des troubles de la motricité, de troubles vésico-sphinctériens, de la déglutition, de la vision, de pseudo paralysies d'origine proprioceptive et de la variabilité des symptômes. La confusion est aggravée par la présence de signes (28) à l'IRM cérébrale (Figure 1) qui sont le fait du SED

 

 Figure 1 : IRM cérébrale

Figure 1 : Leucoaraiose de la région supra ventriculaire se présentant typiquement selon de petites opacités  arrondies bilatérales et symétriques en chapelets centro-semi-ovalaires dans un syndrome d'Ehlers-Danlos.

Le geste dangereux est la ponction lombaire qui peut provoquer une brèche méningée. L'autre geste dangereux est la prescription des traitements de la sclérose en plaque, y compris de la cortisone qui est contre indiquée dans cette maladie où existe une ostéopénie.

La polyradiculonévrite de Guillain-Barré est évoquée devant un tableau de déficits moteurs diffus associé à des paresthésies. Là aussi le danger est la ponction lombaire.

L'accident vasculaire cérébral est souvent évoqué devant un malaise dysautonomique avec une perte de connaissance brève qui peut s'accompagner d'un déficit moteur transitoire. Il n'y a pas de signes d'AVC à l'imagerie cérébrale. Le danger, ici, est la mise en place d'un traitement anti agrégant plaquettaire avec un risque hémorragique.

Les conséquences neurologiques de lésions vertébrales sont souvent discutées. Le pincement discal, conséquence du tassement tissulaire du fait du syndrome d'Ehlers-Danlos, combinée à des douleurs des membres inférieurs font souvent évoquer une compression radiculaire. Le diagnostic peut être écarté sur la topographie non radiculaire des douleurs, un réflexe achilléen normal, l'absence de douleur sur le trajet du sciatique à la manœuvre de Lasègue. l'intervention chirurgicale doit être évitée à cause de ses conséquences sur les douleurs et, de façon plus générale, sur la symptomatologie de la maladie. Ailleurs, ce sont des déplacements vertébraux très douloureux qui conduisent à une solution chirurgicale d'arthrodèse. La présence possible d'un syndrome d'Arnold-Chiari pose des questions identiques. Dans tous ces cas, il faut savoir que la chirurgie est difficile (saignements, cicatrisation et consolidation osseuse en cas de greffon).

La myasthénie mitochondriale devant la fatigabilité musculaire.

Le dysfonctionnement vésico-sphinctérien, d'origine proprioceptive, est souvent confondu avec celui d'une vessie neurologique et peut conduire à des gestes chirurgicaux dont l'issue, sur un tel terrain, est incertaine.

Les syndromes canalaires et du défilé des scalènes. Du fait de l'étirabilité des tissus et de leur faible résistance aux compressions, le nerf cubital au coude, le médian au carpe, le plexus brachial dans le défilé des scalènes peuvent être peuvent être comprimés ou étirés. La solution n'est pas chirurgicale mais orthétique : coudières, orthèses de poignet, orthèse proprioceptive d'épaule.

Les dystrophies musculaires sont une erreur habituelle de diagnostic, du fait du caractère diffus de la pathologie mais aussi de la présence fréquente de rétractions musculaires des muscles postérieurs des membres inférieurs.

Les neuropathies à petites fibres sont évoquées devant le caractère "neuropathique" des douleurs rencontrées dans le SED.

Les vertiges conduisent à des traitements médicamenteux mal supportés.

La dystonie est fréquente (8), extériorisée par des myoclonies ou des mouvements involontaires brusques favorisant les luxations et blocages articulaires, des tremblements, un syndrome de la crampe de l'écrivain et, parfois, des crises généralisées de contractures, évoquant les descriptions historiques de Charcot (29). A ce propos se pose la question du rapprochement avec la symptomatologie du syndrome d'Ehlers-Danlos dans lequel l'hypnose est très efficace. La dystonie peut aussi être à l'origine d'un diagnostic de maladie de Parkinson comme nous avons pu l'observer. L'interprétation, là aussi, est la dysproprioception. Il est important de reconnaître l'organicité du symptôme car la L-Dopa, à faible dosage, a une efficacité parfois remarquable (30). Dans certains cas, l'hypertonie est telle que les injections de toxine botulique ne suffisent pas. Le recours à la chirurgie fonctionnelle devient nécessaire.

L'épilepsie est parfois évoquée devant de grands crises toniques avec des pseudo absences, sous la forme de suspensions brèves de connaissance, habituelles dans le SED et mal expliquées, d'origine neurovégétative probable (POTS, chute tensionnelle). La normalité de l'Electroencéphalogramme est un argument décisif.

Les céphalées peuvent conduire à des discussions diagnostiques difficiles du fait de la diversité de leurs origines: migraines avec aura et surtout les céphalées mixtes entre les céphalées d'origine cervicale, syndrome algo-dysfonctionnel de l’articulation mandibulaire (SADAM), céphalées par hypotension spontanée du LCR, céphalées liées au POTS (31).

La question des pseudo paralysies se pose régulièrement dans cette pathologie. Il peut s'agir de difficultés lors d'un geste tel que prendre un objet ou se lever d'un siège. Les patients décrivent l'impossibilité de le réaliser malgré leur volonté d'agir. Ailleurs, c'est la sensation d'un membre supérieur "absent", "introuvable", comme s'il était "détaché du corps". Dans ce cas, une ébauche de mouvement crée une douleur et le membre "perdu" est retrouvé mais perçu douloureusement. Dans un autre cas, c'est une paraplégie totale motrice et sensitive depuis plusieurs années avec une rétention vésicale complète, des réflexes ostéotendineux présents et une IRM médullaire normale, d'apparition brusque, persistant depuis plusieurs années. Certains de nos patients, conservent, depuis des années, une hémiplégie ou une tétraplégie permanente. Le rôle du désordre proprioceptif apparaît comme l'explication probable mais l'explication physiopathologique reste à trouver. Ces difficultés à percevoir son corps sont responsables des sensations éprouvées par un nombre important de nos patients qui décrivent leur corps comme "étranger à eux-mêmes", comme "le corps d'un autre" qu'ils perçoivent comme "détaché d'eux mêmes". Ces sensations disparaissent avec le port des vêtements proprioceptifs spécialement étudiés pour ces patients dans le but d'améliorer le proprioception en comprimant les tissus et en améliorant leurs capacités à réagir aux changements mécaniques. Il y a là un grand avenir pour la recherche dans le champ des interactions entre le corps et la personne.

Les anévrysmes artériels cérébraux sont une des expressions possibles de la fragilité des tissus dans le syndrome d'Ehlers-Danlos. Ils peuvent s'observer dans tous les cas de maladie d'Ehlers-Danlos et pas seulement dans les formes "vasculaires" pour lesquelles une mutation du collagène COL3A1 peut être retrouvée. La découverte d'une anévrysme ou la notion d'un AVC brutal chez un sujet jeune dans la famille conduit à les rechercher systématiquement par une IRM cérébrale.

Le diagnostic de maladie mentale avec thérapies appropriées est très fréquent, dans notre expérience. Celui de dépression est l'un des plus habituels. Il est paradoxal chez ces personnes qui ont, au contraire un comportement très "combatif" face aux difficultés rencontrées. Les résultats négatifs du test de dépression de Beck, systématiquement appliqué à notre consultation confirment ce point de vue. La variation dans le temps des symptômes, la présence de phases d'hyperactivité, conduisent à évoquer un syndrome bipolaire. Ailleurs, c'est celui de schizophrénie qui est proposé. L'importance des troubles de la mémoire de travail oriente vers un tableau d'Alzheimer que nous n'avons jamais rencontré dans notre très large expérience. Les troubles de l'appétence et les difficultés de déglutition, les douleurs oesogastriques conduisent à des restrictions alimentaires et à des amaigrissements qui sont souvent rapportées à une anorexie mentale et conduisent à des hospitalisations en Psychiatrie.

Le diagnostic le plus courant qui est porté devant le tableau habituel asthéno-algique majoré ou révélé au moment de l'adolescence dans une population féminine (80% des consultants) est "trouble psychosomatique" exprimé par cette formule, très souvent rapportée par nos patients: "c'est dans la tête". Le diagnostic de substitution de fibromyalgie, sous-entend, en fait, une opinion semblable de la part du médecin qui le pose. La survenue de crises spectaculaires de dystonie, conduit invariablement à raviver la vision hippocratique de l'hystérie.

Le cas particulier de l'autisme mérite une attention spéciale. (26,). C'est un pédopsychiatre, Vincent Guinchat qui a eu l'idée d'utiliser les vêtements compressifs proprioceptifs que notre équipe a mis au point pour les personnes avec un SED (27). L'examen de plusieurs de ces patients a mis en évidence des signes d'Ehlers-Danlos: fragilité de la peau, tendance hémorragique, hyperlaxité articulaire, constipation. L'examen de la famille a permis, aussi, de découvrir des cas d'Ehlers-Danlos sans autisme chez les parents et dans la fratrie. Ces constatations sont à rapprocher de comportements que nous observons chez certains enfants de parents avec un syndrome d'Ehlers-Danlos qui conduisent à des diagnostics d'Asperger.

Difficultés d'apprentissage, dysorthographie, dyslexie, dyspraxie et troubles cognitifs du syndrome d'Ehlers-Danlos. Les troubles cognitifs ont longtemps et sont encore rarement mentionnés par les auteurs qui écrivent sur ce syndrome. Ils sont pourtant bien réels et sont présents chez 68% de nos patients (10). Ils sont responsables de difficultés scolaires (32) et plus tard de désinsertion au travail. Leur présence justifie la recherche de signes en faveur du syndrome d'Ehlers-Danlos pour une meilleure orientation thérapeutique et pédagogique. Ils contrastent avec une intelligence évaluée très largement au dessus de la moyenne pour le groupe d'âge.

Conclusions

Le syndrome d'Ehlers-Danlos apparaît aujourd'hui comme une pathologie fréquente aux expressions cliniques multiples et trompeuses à l'origine de nombreuses erreurs de diagnostic, notamment en neurologie. Cette hypothèse diagnostique doit être évoquée par les neurologues et discutée tout particulièrement dans les cas suivants: suspicion de sclérose en plaque, dystonie, trouble proprioceptif important, syndrome douloureux intense et polymorphe, dysurie importante, anévrysme artériel cérébral, syndrome d'Arnold Chiari, hypermobilité articulaire, rétractions des muscles fléchisseurs des cuisses chez un enfant, syndrome du tunnel carpien, troubles cognitifs, anorexie mentale, autisme.

Le diagnostic reste clinique, dans la très grande majorité des cas, en l'absence de marqueur biologique. Il s'appuie sur un regroupement significatif de signes apparemment disparates mais qui ont une unité commune: celle d'exprimer une particularité structurelle du tissu conjonctif. Cette altération du tissu conjonctif est héréditaire transmise à tous les enfants dont un des parents est atteint. Poser le diagnostic n'a donc pas seulement l'intérêt d'éviter des traitements dangereux mais aussi d'informer les personnes atteintes sur le fait qu'ils transmettent la maladie.

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