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Claude Hamonet

 

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Mise au point sur une pathologie très largement sous-diagnostiquée :
le syndrome d’Ehlers-Danlos (SED)

Professeur émérite Claude Hamonet
Consultation Ehlers-Danlos, Hôtel-Dieu de Paris.
Le 2 juillet 2015

 

La clinique du syndrome d'Ehlers-Danlos est toujours l'objet de controverses dans les milieux médicaux, principalement sur les limites réelles de cette maladie, fréquente mais encore trop souvent ignorée, voire rejetée. Ces polémiques perturbent gravement les patients et leurs familles. Après une expérience approfondie (17 ans et 2500 cas) du diagnostic et du traitement du syndrome d'Ehlers-Danlos, il nous a paru important de faire  une mise au point avec l'objectif de proposer aux médecins traitants qui sont les premiers concernés et aux familles concernées, une information construite sur l'expérience.

Si on laisse de côté quelques descriptions anciennes d'Hippocrate ou d'un chirurgien hollandais du 17éme siècle, cette pathologie du tissu conjonctif a fait son entrée dans l'Histoire des maladies avec les descriptions de deux dermatologues : Chernogubov, à Moscou en 1892, à propos de deux cas et Ehlers, en 1900 à Copenhague, à partir d'un autre cas. Longtemps cette pathologie est restée confinée dans le champ de la dermatologie au sein du cadre des "cutis laxa". C'est encore un dermatologue, Achille Miget, qui dans sa thèse de Médecine soutenue à Paris, en 1933 associe le nom d'un troisième dermatologue, Danlos, à celui d'Ehlers. Le syndrome d'Ehlers-Danlos était né. Par la suite, oublié des dermatologues, il est entré en déserrance entre la Rhumatologie qui l'a décrit sous le nom d'hypermobilité articulaire en négligeant, dans un premier temps, les autres symptômes (les multiples douleurs surtout) et la Génétique qui l'ont divisé en plusieurs formes cliniques, la plus commune, de très loin, étant qualifiée d'hypermobile alors qu'elle ne l'est pas toujours et surtout pas tout le temps. Par amalgame et abus de langage, le SED, maladie génétique, a été considéré, à tort, puisqu'il est fréquent mais rarement diagnostiqué, comme une maladie rare. Le suivi prolongé d'une file active et nombreuse, de patients et la confrontation de cette expérience avec les données exprimées dans la littérature médicale internationale (Grahame, Bravo, Castori, Tinkle...) a permis d'identifier un ensemble de critères cliniques qui permettent, dès aujourd'hui, un diagnostic de certitude.

 

Les signes cliniques qui permettent le diagnostic de syndrome d'Ehlers-Danlos

Manifestations cliniques  les mieux reconnues par le corps médical et les plus fréquentes

Les douleurs diffuses (musculotendineuses, périarticulaires, abdominales, thoraciques, cutanées, génitales, migraineuses, rebelles aux traitements, permanentes avec des crises souvent asthéno-algiques).
La fatigue intense et les troubles du sommeil.
Les troubles proprioceptifs (heurts d'objets, maladresses, "signe la porte" ou de "Pierre Richard") et le "désordre articulaire" (entorses, luxations, blocages, hypermobilité articulaire), comportant aussi la dystonie (secousses musculaires, contractures musculaires, mouvements répétés).
La fragilité de la peau, mince, veloutée, protégeant mal contre le passage de l'électricité statique avec sensations de décharges électriques pénibles ("signe de la portière de voiture ou du caddy"), cicatrisant mal, siège de vergetures, parfois étirable (pas toujours) mais modestement habituellement.
La dysautonomie (frilosité, sueurs, tension artérielle basse, crises de palpitations, malaises surtout en position debout (en anglais postural orthostatique syndrome : POTS), extrémités froides (signe de la chaussette: mettre des chaussettes pour dormir)
Les hémorragies : ecchymoses ("bleus") nombreuses, saignement des gencives, du nez, règles hémorragiques)
Les manifestations respiratoires : (essoufflements surtout à la montée des escaliers: "signe de l'escalier", en blocages inspiration)
Les manifestations cognitives (mémoire de travail ou "immédiate", attention avec bousculade des idées et passage du "coq à l'âne"), orientation dans l'espace et repérage dans le temps).


Les autres manifestations cliniques évocatrices observées

Gastro-intestinales (une "triade" : constipation, ballonnement reflux gastro-oesophagien).
Bucco-dentaires (douleurs et luxations des articulation temporo-maxillaires, dents fragiles, mal positionnées. 
ORL (hyperacousie, hyperosmie, acouphènes, vertiges, difficultés en atmosphère sonore ("signe du brouhaha")
Ophtalmologiques: difficultés de vision binoculaire: fatigue visuelle, photophobie,myopie, astigmatisme).
Gynécologiques et obstétricales : dyspareunie, fibromatose, kystes ovariens, ouverture précoce de la poche des eaux, dysynergie entre l'ouverture du col et les contractions lors du travail, hémorragies, efficacité incomplète des péridurales, déchirures périnéales et difficultés de sutures.
Vésico-sphinctériennes (difficultés à ressentir le besoin, envies impérieuses et fuites).

 

La mise en évidence du caractère familial

La présence dans la fratrie, chez les parents grands-parents, cousins, de manifestations cliniques analogues, même incomplètes constitue un argument qui signe le caractère génétique du tableau clinique et permet d'asseoir solidement le diagnostic tout en mettant en place un dépistage et la mise en oeuvre des précautions et des traitements.

 

Les limites du diagnostic

Les formes asymptomatiques ou pauci symptomatiques sont probablement les plus fréquentes et passent souvent inaperçues, étant compatibles avec une vie sociale de qualité. Se pose la question des personnes hypermobiles sans aucun autre symptôme et de leur appartenance au syndrome surtout si elles sont isolées sans aucun autre cas familial décelable. C'est là une limite de l'approche du SED et l'accent excessif mis sur l'hypermobilité n'a pas été forcément contributif à la progression de la question. Ce qui parait important c'est de ne pas passer à côté des formes symptomatiques, de ne pas les confondre avec une autre pathologie et de les traiter comme il convient.

La problématique principale du syndrome est qu'il est largement sous diagnostiqué. On est très loin d'une phase de surdiagnostic et le fait de le faire croire serait une contrevérité scientifique et très négatif pour tous ceux qui attendent d'être, enfin, identifiés. Les personnes non reconnues sont très nombreuses, et en difficultés très souvent exclues socialement, il ne faut pas leur retirer la chance qu'elles attendent.

 

Syndrome d'Ehlers-Danlos : les gestes à éviter

 

L'errance thérapeutique

Elle est de 21 ans en moyenne dans notre expérience si on considère le moment où les premiers symptômes auraient du orienter les médecins et le moment où le diagnostic est fait. Les conséquences sont des indications thérapeutiques inappropriés et à risques (psychiatrisation, chirurgie dévastatrice (jusqu'à 46 interventions chez la même personne!), thérapies médicamenteuses à risques. Une fois le diagnostic bien établi, devant la persistance des symptômes, même si le diagnostic de SED n'est pas remis en cause, certaines de ses manifestations sont à l'origine de nouvelles orientations thérapeutiques. Et l'on assiste au redémarrage de l'errance.

Les orientations proposées sont toujours les mêmes :

- devant la fatigue, la fatigue, la frilosité et... des nodules (ceux-ci sont d'une extrême banalité dans le SED) la pathologie thyroïdienne,

- devant les troubles vasomoteurs des extrémités, le syndrome de Raynaud, alors qu'une étude récente sur 10 patients testés par capillaroscopie dans le service de Rhumatologie de Cochin (Pr. Allanore) n'a retrouvé aucun signe de Raynaud.

- devant les douleurs : on transforme une manifestation courante du SED, les douleurs musculaires ou myalgie) en une maladie autonome; leurs localisations rachidiennes, même en l'absence d'appartenance au groupe HLAB27 conduisent au diagnostic de spondylarthrite ankylosante, le caractère distal des douleurs les déformations par hypermobilité des doigts à celui de polyarthrite, leur association aux troubles de dysautonomie du SED (sécheresse buccale, gonflement des sous-maxillaires) à celui de Gougerot-Sjogren,

- devant les troubles moteurs proprioceptifs, les troubles de vision binoculaire, de déglutition, vésicaux, les sensations douloureuses de fourmillements, le diagnostic de Sclérose en plaques est parfois porté, s'appuyant sur des signes à l'IRM cérébrale confondus avec des signes retrouvés avec les techniques du tenseur de diffusion par dans les IRM des personnes avec un SED (Pr. Frédy).

- devant les blocages respiratoires du SED avec une bradypnée inspiratoire, le diagnostic d'asthme est souvent évoqué,

- devant les crises de palpitation en lien avec la dysautonomie, un trouble du rythme est parfois discuté alors que le cœur est certainement l'organe qui tolère le mieux les particularités du collagène de ce syndrome,

- devant les difficultés cognitives (mémoire, attention, orientation), qui peuvent être importantes, l'hyperactivité, les douleurs intenses, les manifestations qui accompagnent la perturbation du sixième sens qu'est la présence du syndrome proprioceptif qui résume le SED, la psychiatrisation inappropriée est fréquente. Beaucoup reste à préciser dans l'expression des aspects psychopathologiques de ce syndrome.

 

Les traitements

Ils existent et l'on ne peut plus dire : il n'y a pas de traitement dans le syndrome d'Ehlers-Danlos, comme c'est encore le cas trop souvent. Il faut savoir que la symptomatologie est variable, multiple, souvent imprévisible et que les traitements sont donc difficiles.

Ils existent cependant et l'on dispose actuellement d'une "panoplie" de moyens pour lutter contre les effets du désordre proprioceptif.

- Les orthèses : vêtements compressifs, semelles, ceintures, colliers, minerves, corsets rigides (incluant ceux de la scoliose), orthèses de repos et de fonction des mains, gouttières de repos des membres inférieurs, sièges moulés, supports à mémoire de forme, orthèses articulées de marche avec ou sans pièce de hanche. Les orthèses dentaires y compris les dispositifs à effet proprioceptif sur la posture, les lunettes à prismes sont des perspectives qui entrent déjà  en l'application.

- L'oxygénothérapie associée ou non au percussionnaire qui a largement fait les preuves de son efficacité sur la fatigue, les migraines et les difficultés respiratoires sur plus d'un millier de patients.

- Les antalgiques locaux : patchs de Lidocaïne, stimulations électriques antidouleurs, chaleur, micro injections de lidocaïne des points douloureux musculaires et péritendineux. L'autohypnose est d'un apport souvent très efficace.

- La kinésithérapie, kinébalnéothérapie, ergothérapie et toutes les activités physiques favorisant la proprioception musculoarticulaire et respiratoire (chant), le Tai chi chuan, le Yoga, la relaxation, la natation, l'équitation.

- Les myorelaxants, les antalgiques par voie générale (Tramadol, Acupan semblent être les mieux supportés en cas de crise, pas de morphine en tout cas).

- Les troubles digestifs, gynécologiques, relèvent de traitements symptomatiques appropriés.