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Claude Hamonet

 

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Ehlers-Danlos (SED), description d’une maladie génétique
fréquente, mal connue, aux complications multiples

Lettre ouverte à Madame Marisol Touraine, Ministre des Affaires sociales et de la Santé

 

Madame la Ministre,

Cette lettre a pour but de vous alerter sur les situations médicales et sociales, souvent très pénibles, que vivent en France les personnes atteintes du syndrome d’Ehlers-Danlos et sur les conditions extrêmement difficiles de la consultation Ehlers-Danlos à l'Hôtel-Dieu de Paris.

Notre expérience s'appuie sur une file active de plus de 2.000 patients que nous avons diagnostiqués en 15 années de consultations spécialisées dans les hôpitaux de l'AP-HP (Henri Mondor à Créteil, Hôtel-Dieu de Paris, Hôpital Raymond Poincaré à Garches).

 

I – Le syndrome d'Ehlers-Danlos (SED)

1 - C'est une pathologie de l'ensemble du tissu conjonctif d'origine génétique, avec altération des collagènes.

Chacune des personnes atteintes transmet nécessairement la maladie à ses enfants, sans le savoir dans la majorité des cas. C'est ce que nous avons observé en étudiant 35 familles à notre consultation à l’Hôtel-Dieu de Paris.

Un autre point d'observation constante est la large prédominance féminine (80%) de façon stable depuis le début de nos consultations. Et Les manifestations du syndrome sont nettement plus sévères dans le sexe féminin (étude effectuée sur nos 644 premiers cas).

2 - C'est une pathologie fréquente.

Sa prévalence est totalement sous-estimée. Les médecins généralistes qui ont appris à faire le diagnostic en dépistent régulièrement de 5 à 10 cas dans leur patientèle. Ceci permet une approche, certes sommaire, mais réaliste du problème épidémiologique et une estimation du nombre de personnes concernées. Sachant que les généralistes, sont au nombre de 90.630 (données statistiques récentes du Conseil national de l'Ordre des médecins), nous considérons donc, comme légitime, d’avancer le chiffre de plus de 500.000 personnes concernées et vivant en France.

 Ce chiffre est probablement sous-estimé, du fait de la très large diffusion génétique de la maladie et du nombre élevé des formes incomplètes que l'on ne sait pas (ou que l'on n'ose pas) diagnostiquer, mais qui peuvent s'aggraver ultérieurement.

3 - Sa symptomatologie est très diversifiée.

Ses regroupements de symptômes sont évocateurs pour celui qui la connaît mais ils déroutent trop souvent le médecin et conduisent à de nombreux accidents iatrogènes par ignorance du syndrome et des risques qu'il sous-tend.

Cette symptomatologie est souvent très intense lors de «crises» alarmantes sur un fond permanent. Parmi les symptômes dominants figurent les douleurs multiples, la fatigue, les difficultés respiratoires, les désordres proprioceptifs du contrôle de la motricité, parfois graves nécessitant le recours à un fauteuil motorisé. La fragilité tissulaire, surtout vasculaire explique les saignements quasi constants et parfois la présence d'anévrysmes artériels particulièrement nombreux dans la forme dite «vasculaire», heureusement très rare). Les désordres neurovégétatifs, la dystonie (syndrome parkinsonien), les altérations bucco-dentaires, les troubles cognitifs sont à ajouter. Ces manifestations sont à l'origine d'un grand nombre de dérives diagnostiques et thérapeutiques, notamment vers la psychosomatique et la psychiatrie (dépression et syndrome bipolaire).

Le diagnostic repose sur la seule clinique, ce qui, est parfois difficile à admettre à notre époque d'inflation de l'imagerie et de la biologie. On ne sait pas localiser le gène. Les études des types de collagènes sont indicatives mais difficiles à réaliser, coûteuses et incertaines. En fait, les signes cliniques et le contexte familial suffisent pour établir le diagnostic.

4 - Il s’agit de personnes fragiles et vulnérables, incitant à la prudence dans les indications d'examens invasifs et des traitements.

Cette fragilité est responsable de l’aggravation, lors de traumatismes (accidents de voie publique en particulier) mais, surtout, d’effets iatrogènes à l’occasion de thérapeutiques inappropriées: hémorragies massives lors d’un traitement anticoagulant, d’une coloscopie ou d’un accouchement, brèche méningée lors d’une ponction lombaire, aggravation par une chirurgie orthopédique intempestive, effets nocifs des thérapies immunitaires en cas de confusion avec la sclérose en plaques ou une pathologie rhumatismale.

Ces observations mettent l’accent sur l’intérêt du dépistage précoce et de la prévention de gestes thérapeutiques dangereux.

5 - Il s'agit d'une pathologie handicapante responsable de nombreuses exclusions scolaires ou d'inaptitudes au travail.

Les lésions sont présentes, dès la naissance et s'expriment, souvent, dès la petite enfance et même, parfois, dès les premiers mois de la vie. La période de la puberté est habituellement le moment d'une nette accentuation des symptômes chez les filles.

Les difficultés scolaires sont nombreuses en raison des douleurs, de la fatigue et des manifestations cognitives. Ces enfants souffrent d'incompréhensions frustrantes et de soupçons de la part de l'Institution scolaire face à une pathologie quasiment invisible, ignorée qui est mise en doute.

Sur le plan professionnel, la situation est souvent catastrophique avec des exclusions du travail mal comprises par les Maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) qui sous-estiment les difficultés fonctionnelles. De ce fait, leurs commissions refusent, très souvent, l'application des dispositions sociales auxquelles ces patients ont droit dans le cadre de la Loi d'égalité des droits et des chances des personnes handicapées du 11 février 2005.

6 - Il existe des traitements symptomatiques spécifiques efficaces.

Ils ont été appliqués, avec succès, depuis plusieurs années, sur des populations importantes de patients, au CHU Henri Mondor à Créteil, à l'Hôtel-Dieu de Paris, à Reims, à Caen, à Tourcoing, à Laon...

Il s'agit d'orthèses proprioceptives (vêtements compressifs spéciaux en particulier), d'oxygénothérapie combinée, si besoin, à l'Impulsator (percussionnaire), de myorelaxants, d'anti douleurs à l'exception de la morphine, de médications à effets digestifs ou urinaires, d'emplâtres anti douleurs, d'injections locales répétées de Lidocaïne sur les points douloureux, de rééducation proprioceptive utilisant la kinésithérapie, l'ergothérapie, la posturologie, l'hypnose. Les échecs de la chirurgie fonctionnelle sont très nombreux. Sa place doit être reconsidérée.

 

II – La situation de la consultation Ehlers-Danlos à l'Hôtel-Dieu de Paris

La question du devenir de la consultation Ehlers-Danlos à l'Hôtel-Dieu de Paris se pose avec acuité.

842 patients ont été accueillis en 2012, 1342 en 2013 et 877 du premier janvier au 30 juin 2014.

500 personnes sont inscrites en liste d'attente, sachant que les prochains rendez-vous ne pourront commencer à être honorés qu'en juillet 2015. La situation actuelle est donc bloquée.

J'assure seul, les contraintes suivantes : examen des patients de 8 heure le matin à minuit deux fois par semaine pour les consultations programmées. Des consultations supplémentaires sont intercalées, ce qui peut m'amener à consulter tous les jours de la semaine.

Cette situation inhumaine est intenable et appelle, sans délai, des renforts en personnel médical face à la submersion des demandes.

 

Conclusion

Il faut arrêter de considérer cette pathologie génétique comme rare puisqu'elle est fréquente.

Il faut, en conséquence, former l'ensemble des médecins généralistes et spécialistes, des odontologistes, des sages-femmes et des autres professions de santé concernées.

Cette formation concerne :

Une formation universitaire diplômante sur le SED à l'Université Paris-Est-Créteil (UPEC) avec la participation des enseignants de 7 universités différentes est un début. Il est à généraliser dans le cadre de la formation médicale continue.

Il faut également lancer une large information auprès des médecins-conseils des Caisses d'assurance maladie, des MDPH, des médecins du travail, des médecins scolaires pour les aider à identifier les personnes concernées et à apprécier leurs besoins réels, tenant compte de leurs situations de handicap.

C'est donc un appel pressant que je vous adresse, Madame la Ministre, autant pour les patients avec un Syndrome d'Ehlers-Danlos que pour moi-même face à une situation difficile, certes, mais pour laquelle des avancées diagnostiques et thérapeutiques conséquentes ont été récemment obtenues.

Il convient, dès maintenant, d'amplifier rapidement ce qui a été mis en place et de l'étendre sur le plan national.

J'attends de vous, Madame la Ministre, et de votre ministère toute la compréhension et l'aide qu'une telle affaire justifie et je demande à vous rencontrer très rapidement.

Je vous assure, Madame la Ministre, de ma très grande considération.

Hôtel-Dieu de Paris, le 12 août 2014.                   Professeur émérite Claude Hamonet

pr.hamonet@wanadoo.fr