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Commentaires sur la classification du syndrome d'Ehlers-Danlos (New York 2017)

Septembre 2017, révisé en Février 2020.

 "Il n'est pas de meilleur livre pour le médecin que le malade" (Baglivi).
 "Il est plus difficile de détruire un préjugé qu'un atome" (Einstein)

 

Ce nouveau projet de classification est issu du consensus établi entre les membres d'un groupe de cinq médecins, dont quatre généticiens, réunis à New York (mai 2016) dans le cadre d'un symposium sur le syndrome d'Ehlers-Danlos organisé par une association Anglo-américaine de patients The Ehlers-Danlos Society dont l’executive director est Lara Bloom, en collaboration avec un ensemble de médecins impliqués dans la maldie d’Ehlers-Danlos.

Le titre est "A Framework for the Classification of Joint Hypermobility and Related Conditions". Les auteurs sont Marco Castori, Brad Tinkle, Howard Levy, Rodney Grahame, Fransiska Malfait et Alan Hakim. L'article est publié dans American Journal of Medical Genetics, Part C (Seminars in Medical Genetics) 175C:148–157 (2017).

I - Historique des classifications d’Ehlers-Danlos par les généticiens

La construction de classifications du syndrome d'Ehlers-Danlos en cherchant à rapprocher les mutations du collagène de tableaux cliniques spécifiques est ancienne et a marqué l'Histoire de cette maladie vue du côté des généticiens.

La première classification est proposée par Barrabas, en 1967, à partir de  27 patients. Elle décrit trois 3 types: classique, varicose, artériel. Le type artériel est le même que celui décrit en 1932 par Sack qui l'avait dénommé « status dysvascularis ». C'est le syndrome de Sack-Barrabas, devenu syndrome d'Ehlers-Danlos de type IV dans la classification de Villefranche, caractérisé par une mutation du COL2A1. Johnson et Falls (20) qui font la preuve du caractère héréditaire dominant  du syndrome à partir d'un arbre généalogique de 123 personnes sur 6 générations.

La deuxième classification, en 1969, est le fait de Beighton, à partir de l'observation de 100 patients, propose cinq formes distinctes, cliniquement décelables: le type gravis ou type I, le type mitis ou type II, le type hypermobile ou type III, le type ecchymotique ou type IV correspondant au type artériel de Barabas et le X-linked syndrome ou type V.

La troisième classification est celle de Berlin (1988), elle comporte 11 formes qui seront réduites, dans sa révision formant la quatrième classification (Villefranche 1997) à six :

Type I/II classique
Type III hypermobile
Type IV vasculaire
Type VI cyphoscoliotique
Type VIIa et b arthrochalasique
Type VIIc dermatoparaxis

La cinquième et dernière proposition (New-York, 2017) propose 13 types.

II - La classification Ehlers-Danlos de New York

Les 13 types avec leurs caractéristiques sont reproduits dans le tableau suivant (Gail Ouellette, Québec, 2017) :

EDS subtypes
(n = 13)

Major criteria (*)

Minor criteria (*)

Must joint hypermobility be present in minimal criteria suggestive of diagnosis of subtype?

Answer : GJH or JH is required to be present in minimal criteria for diagnosis of classical-like and hypermobile subtypes only

Classical (cEDS)

Generalized joint hypermobility (GJH)

1 of 2 major criteria

Beighton ≥ 5/9

Or depending on age, if <5/9 can be positive according to historical data (5 Point Questionnaire)


 

GJH can be replaced by 3 minor criteria,
so not necessary for diagnosis

Classical-Like (clEDS)

GJH with or without recurrent dislocations (most commonly shoulder and ankle)

1 of 3 major criteria

Beighton criteria as in classical


 

Three major criteria needed,
so GJH necessary

Cardiac-Valvular (cvEDS)

Joint hypermobility (generalized or restricted to small joints)
1 of 3 major criteria

 

JH can be replaced by 2 minor criteria,
so not necessary

Vascular (vEDS)

 

Hypermobility of small joints
1 of 12 criteria

« Testing for vEDS should also be considered in the presence of a combination of the other “minor” clinical features listed above. ». Conclusion : hypermobility of small joints is not necessary

Hypermobile (hEDS)

Generalized Joint Hypermobility (GJH) is criterion #1 of 3 criteria.
Beighton score : ≥6 for pre-pubertal children and adolescents, ≥5 for pubertal men and women up to the age of 50, and ≥4 for those >50 years of age for hEDS.
For individuals with acquired joint limitations : if the Beighton score is 1 point below the age- and sex-specific cut-off AND the 5PQ is ‘positive’ (= at least two positive items), then a diagnosis of GJH can be made.

 

Three major criteria are required, so GJH is necessary.

Arthrochalasia (aEDS)

Severe GJH, with multiple dislocations/subluxations
(1 of 3 major criteria)
Beighton as in classical

 

2 of 3 major criteria needed,
so GJH not necessary

Dermatosparaxis (dEDS)

 

GJH

1 of 11 criteria

Beighton as in classical

Three minor criteria out of 11 can be required,
so JH not necessary

Kyphoscoliotic (kEDS)

GJH with dislocations/subluxations (shoulders, hips, and knees in particular)

1 of 3 major criteria

Beighton as in classical

 

GJH can be replaced by 3 minor criteria,
so GJH not necessary

Brittle Cornea Syndrome

 

Hypermobility of distal joints
1 of 11 minor criteria

Three minor criteria out of 11 can be required,
so JH not necessary

Spondylodysplastic (spEDS)

 

If gene B4GALT7 :
GJH is 1 of 13 minor criteria
(Beighton as for classical)
Gene B3GALT6 :
Joint hypermobility, generalized or restricted to distal joints, with joint dislocations = 1 of 16 minor criteria
Gene SLC39A13 :
Hypermobility of distal joints = 1 of 10 minor criteria

Only 3 minor criteria needed,
so JH not necessary

Musculocontractural (mcEDS)

 

Recurrent/chronic dislocations
1 of 15 minor criteria

Minor criteria not necessary

Myopathic (mEDS)

Hypermobility of distal joints
1 of 3 major criteria

 

JH can be replaced by 3 minor criteria,
so JH not necessary

Periodontal (pEDS)

 

Joint hypermobility, mostly distal joints
1 of 8 minor criteria

Only one minor criteria needed,
so JH not necessary

 

L'appellation Ehlers-Danlos n'est plus utilisée dans la dénomination générale et est remplacée par hypermobilité articulaire, au sein de laquelle il est distingué l'hypermobilité des articulations distales (PJH, peripheral joint hypermobility) des membres, l'hypermobilité articulaire isolée (IJH, isolated joint hypermobility) l'hypermobilité généralisée (GJH, generalized hypermobility) qui concerne les quatre membres et le tronc.

Les initiales EDS sont cependant conservées pour identifier chacun des 13 sous-types précédés d'une initiale : Classical (cEDS), Classical-Like (clEDS), Cardiac-Valvular (cvEDS), Vascular (vEDS), Hypermobile (hEDS), Arthrochalasia (aEDS), Dermatosparaxis (dEDS), Kyphoscoliotic (kEDS), Brittle Cornea Syndrome, Spondylodysplastic (spEDS), Musculocontractural (mcEDS), Myopathic (mEDS), Periodontal (pEDS).

Une classification générale des personnes avec une hypermobilité est proposée :

1 - Les personnes asymptomatiques avec une hypermobilité articulaire (isolée, distale ou généralisée).

2 - Les personnes ayant une hypermobilité et un syndrome bien défini selon l'un des 13 sous-type.

3 - Les personnes avec une hypermobilité articulaire symptomatique mais ne satisfaisant pas aux critères diagnostics de la classification de New York. Le terme de spectre d'hypermobilité avec désordres (hypermobility spectrum disorder(s) HSDs) est retenu.

Un bon nombre de symptômes fréquents dans le SED sont relégués au rang de co-morbidités en attendant la sixième classification en 2018 lors de la prochaine réunion des généticiens à Gant (Belgique) où seront discutée leur intégration à l'un ou l'autre des sous-types proposés. En attendant, il est cependant recommandé de traiter ces symptômes. Bien entendu, il faut les traiter mais comment les faire accepter par les organismes de prise en charge des soins et de la prise en charge des situations de handicap ? Il s'agit, en particulier, des troubles neurovégétatifs (tachycardie), des désordres gastro-intestinaux, des désordres pelviens et vésico-sphinctériens et de l'anxiété.

III - Critiques du contenu

Cette cinquième tentative de classification génétique de la maladie d'Ehlers-Danlos appelle de très sérieuses critiques.

1 - Elle est centrée sur la mise en évidence d'une hyperlaxité articulaire à laquelle la classification d’Ehlers-Danlos accorde une place trop importante à tel point que certains de ses applicateurs éliminent abusivement le diagnostic si elle est absente, comme nous l’observons régulièrement dans notre pratique clinique. Ce signe est mesuré avec un test qui est très aléatoire dans la maladie d'Ehlers-Danlos : le test de Beighton, initialement destiné à comparer l'hypermobilité articulaire des Noirs et des Blancs en Afrique du Sud. Il néglige des articulations très importantes telles que les épaules, les hanches, les mâchoires, le cou. Il est biaisé par l'existence de rétractions musculo-tendineuses très souvent des muscles fléchisseurs des genoux et des triceps, ce qui lui retire un point sur 9 car elles empêchent de toucher le sol, les deux mains à plat, jambes tendues. Cette hyperlaxité est variable du fait des contractures musculaires et des douleurs, l’une et l’autre très fréquentes, ce qui explique les divergences fréquentes d’examen d'un médecin à l'autre. L'expérience de l'examen articulaire du praticien qui examine est, elle aussi, très importante, l'appréciation, "à l'œil nu", est à remplacer par l'usage du goniomètre si l'on n'est pas très expérimenté. Les angulations choisies par Beighton sont trop "timides" : 10 degrés de recurvatum des coudes ou des genoux sont difficiles à apprécier et posent la question d'une hypermobilité "physiologique", récemment étudiée par Kapandji, surtout chez les enfants et les femmes (qui représentent 80% des consultants). Des tests plus fidèles ont commencé à montrer leur validité (test de l'épaule de Cypel, test de la prière à l'envers, du grand écart facial, du pont à l'envers).

Par ailleurs, l'hyperlaxité, de même qu’un autre signe "historique" de la maladie, l'étirabilité excessive de la peau n'a aucune conséquence fonctionnelle. Nous suivons des patientes qui ont été championnes de gymnastique, de voltige à cheval mais qui, la puberté arrivant, ont vu leurs performances s'effondrer au point de demander un certificat de dispense de l'épreuve sportive au Baccalauréat. En effet, l'essentiel des manifestations cliniques (désordres locomoteurs surtout mais aussi les douleurs) sont liées aux désordres proprioceptifs, à peine évoqués dans la nouvelle classification. L'efficacité des orthèses et de la rééducation proprioceptives, viennent confirmer cette hypothèse. Ils sont la conséquence de l'absence ou l'exagération des réactions des capteurs sensitivo-sensoriels du corps humain, du fait des altérations des réactions des tissus conjonctifs qui constituent leur support. Cette notion, jointe à la fragilité tissulaire, expliquent la totalité, directement ou indirectement, des manifestations rencontrées dans Ehlers-Danlos.

2 - Cette classification ne mentionne pas ou presque (une seule allusion sur la dyspraxie figure dans le texte) les troubles cognitifs (mémoire, attention, concentration, orientation) très fréquents, parfois dès l'enfance.

3 - Il en est de même pour les troubles affectifs dont l'anxiété (très bien décrite par Antonio Bulbena (Barcelone) et Carolina Baeza-Velasco (Paris), qui joue un rôle important dans la prise en charge de ces patients. Le lien observé avec l'autisme et Asperger n'est pas du tout abordé. Il sont pourtant souvent observés.

4 - La différence séméiologique entre les différents sous-types n'est pas claire et la possibilité de s'orienter vers l'une ou l'autre est très aléatoire étant donnée la similitude des symptômes. Nous avions eu la même impression en écoutant les conférenciers qui parlaient de la génétique à New York, en mai 2016, durant les deux premiers jours (sur trois) consacrés aux aspects génétiques. L'impression d'ensemble était, et la nouvelle classification le confirme, que nous avons affaire à des formes cliniques d'une même pathologie. Ceci est vrai aussi pour la forme vasculaire qui n'a plus l'exclusivité des anévrysmes et dissections artérielles puisqu'on peut les observer dans d'autres  formes du SED. De toute façon, les traitements sont les mêmes.

5 - La question de la transmission génétique, essentielle dans cette maladie héréditaire très largement transmise au delà des lois de Mendel, n'est pas clairement abordée, ni démontrée.

6 - L'absence de groupe témoin enlève une très grande part de la valeur scientifique de ce documents qui repose essentiellement sur des affirmations dans le cadre d’un consensus entre des médecins qui se sont auto désignés, sans référence aux sociétés scientifiques existantes ni à une validation scientifique.

IV - Critiques sur le plan méthodologique

1 - L'approche de la description d'une maladie par une classification est hautement critiquable.

La démarche de la recherche médicale clinique est de réunir les moyens d'un diagnostic aussi certain que possible. Pour cela, le médecin doit rassembler un "faisceau de signes", selon la formule de Sydenham, qui constituera le "tableau clinique". Ce terme est employé en référence avec les tables de Boissier qui étaient regroupées dans la nosologie de François Boissier de Sauvages (1752). La reproduction de ces signes évocateurs permet de retrouver des patients ayant les mêmes signes et de décrire la maladie. C'est ce que nous avons fait avec Ehlers-Danlos à travers de nombreuses consultations (4000) depuis 20 ans, rejoignant d'autres cliniciens tels que Grahame (Londres), Manicourt (Bruxelles), Bulbena (Barcelone) et Chopra (USA). La similitude entre les signes retenus par ces auteurs et par nous-même est flagrante.

Les données cliniques peuvent être confirmées par des signes fournis par les examens paracliniques (imagerie, biologie principalement). Dans le cas du SED, ils ne sont pas nécessaires tant le regroupement des signes cliniques est évocateur et spécifique, comme nous l'avons montré dans un travail présenté le 29 février 2017 à l'Académie nationale de médecine avec création d'un modèle mathématique des signes. La présence d'un contexte familial avec d'autres cas de SED signe le caractère héréditaire et fournit un argument supplémentaire de poids. Ces outils diagnostiques existent donc et demandent seulement à être complétés par exemple avec les troubles cognitifs, les manifestations dues au syndrome d'activation mastocytaire (SAMA) qui sont une conséquence de la fragilité du collagène. Ici, l'examen paraclinique spécifique serait avant tout un test génétique. Il manque dans la forme qui est très largement la plus fréquente et identifiée comme hEDS dans la nouvelle classification. Le mode de transmission héréditaire de ce syndrome étant particulier et probablement complexe.

2 - Phénotype et génotype

Ainsi la recherche médicale clinique a largement contribué à définir le phénotype du syndrome, préparant le travail des généticiens pour identifier le génotype. La démarche de classification que ces derniers poursuivent dans le SED parait inversée puisqu'ils s'appuient sur la connaissance du génotype en premier, donnant l'impression de "mettre la charrue avant les bœufs".

3 - Critères diagnostiques et critères de classification

Une publication récente (Maladies systémiques. Critères diagnostiques et de classification. Editions Maloine, Paris 2019 d’un collectif de cinq assistants-Chefs de clinique du service de médecins interne Professeure Claire Lejeunne Hôpital Cochin, Faculté de médecine de médecine de l’Université Paris-Descartes) apporte les éléments de séméiologie qui conviennent dans les maladies systémiques, par définition multisymptomatiques, dont fait partie Ehlers-Danlos : « les critères diagnostiques sont utilisés pour la clinique, les critères de classification ne peuvent être utilisés pour la clinique mais sont utilisés dans les publications scientifiques ». On touche ainsi du doigt l’erreur commise à propos d’Ehlers-Danlos dont on mesure actuellement les conséquences désastreuses en France avec les nombreux refus de reconnaissance et de prise en charge par les organismes sociaux de cette pathologie, à risque vital mais aussi très handicapante, sur laquelle l’absence d’information sur sa transmission se perpétue. Les médecins, mal informés, ne croient pas les patients et, dès l’enfance, majoritairement estiment que les symptômes dont ils se plaignent sont d’ordre mental et concluent que « c’est dans la tête » avec, en conséquence, des orientations en psychiatrie dont on imagine les effets désastreux sur des adolescentes. Le pire est, du fait du non diagnostic par les médecins, est le retrait d’enfants Ehlers-Danlos porteurs d’ecchymoses ou de fractures spontanées par fragilité osseuse avec condamnation des parents à des peines de prison. L’erreur médicale se métamorphose ici en erreur judiciaire.

Conclusions

Dans sa formulation actuelle cette classification ne peut être utilisée pour diagnostiquer ou éliminer une maladie d’Ehlers-Danlos, ni pour en faire le bilan. Elle contribue à la réflexion générale sur la question des maladies héréditaires du tissu conjonctif mais ne peut contribuer à la pratique clinique du SED.

Bien au contraire, son imprécision, sa complexité et ses manques ne peuvent qu'apporter davantage de confusions dans un domaine où il y a en a déjà beaucoup.

Secondairement, il sera toujours utile de comparer les avancées du diagnostic clinique avec les classifications génétiques.

Bibliographie

- Marco Castori, Brad Tinkle, Howard Levy, Rodney Grahame, Fransiska Malfait, Alan Hakim, A Framework for the Classification of Joint Hypermobility and Related Conditions". American Journal of Medical Genetics Part C (Seminars in Medical Genetics) 175C:148–157 (2017).

- Claude Hamonet, Ehlers-Danlos, la maladie oubliée par la médecine, 2éme édition, L’Harmattan, Paris. 2019

- P. Legendre, coordonnateur, Maladies Systémiques. Critères diagnostiques et de classification. Maloine, Paris, 2019.

Paris, le 24 avril 2017, révisé le 24 février 2020