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Claude Hamonet

 

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La fibromyalgie enfin expliquée

Rôle du collagène

Claude Hamonet, professeur émérite Faculté de Médecine de Créteil, Université Paris-Est-Créteil (UPEC) Consultation Ehlers-Danlos, Centre de santé ELLA-Santé, 29 bis rue d'Astorg, 75008 Paris.

 

Naissance d'un nouveau concept de maladie

Depuis les descriptions initiales en 1977 et 1979 par H. Smythe qui crée le terme de «fibromyalgia» (Smythe H. A., fibrositis as a disorder of pain modulation. clin. Rheum. Dis., 5, 823, 1979) et de M. F. Kahn, en 1988, qui définit le SPID, syndrome polyalgique idiopathique diffus (M. F. Kahn, syndrome polyalgique idiopathique diffus, fibrosite, fibromyalgie, Doul. et Analg., 1, 159-164, 1988), l'identité séméiologique de la fibromyalgie est à l'origine de bien des polémiques. Certains, à la suite de Kahn, défendent la notion d'une entité (maladie?) autonome, somatique, même si l'anxiété et les réactions dépressives accompagnent volontiers les symptômes dominés par les douleurs. Ils s'appuient, pour confirmer l'objectivité du syndrome, sur la mise en évidence d'un certain nombre de points douloureux retrouvés sur des zones du corps prédéterminées. D'autres, à l'inverse, nient l'existence de la maladie et considèrent que les symptômes sont l'expression d'un trouble psychique: somatisation, dépression, syndrome bipolaire, hystérie... Les associations de patients sont très largement engagées dans ce débat et le font savoir auprès des autorités sanitaires, réclamant avec énergie la reconnaissance de "leur maladie". On peut les comprendre, bon nombre de ces patients ont connu un parcours d'errance médicale très long et très pénible, principalement par le manque d'écoute de médecins qui mettent en doute la véracité de leurs souffrances, pourtant très considérables. Ils sont soulagés, avec ce diagnostic de fibromyalgie, de constater que leurs plaintes ont prises en considération et d'apprendre qu'elles ont un support médical, une identité reconnue par des médecins. Leur conviction se maintient, même s'ils découvrent que l'efficacité des traitements est très relative ou absente, ils acceptent de "vivre avec".

 

Evolution sémiologique rejoignant celle d'une entité médicale déjà connue mais ignorée

M. F. Kahn avait initialement fondé dans une population très majoritairement de femmes le diagnostic du SPID/fibromyalgie sur les critères suivants: "douleur diffuse depuis plus de trois mois sans diagnostic précis, points nombreux et multiples retrouvés à la pression manuelle exercée par l’examinateur atteignant un score de 50, absence de pathologie sous-jacente ou de signes biologiques d’inflammation, consultation sans conclusion d’au moins cinq médecins, sommeil non réparateur, fatigue dans la journée à prédominance matinale, réveil avec raideur et contracture, augmentation par le stress, l'activité,diminution par le repos, le chaud, migraine, céphalées, côlon irritable."

Nous avons choisi deux descriptions récentes parmi deux des moyens d'information et de vulgarisation des connaissances qui touchent quotidiennement le médecin praticien et influencent ses décisions: les plaquettes éditées par les laboratoires pharmaceutiques (Les douleurs inexpliquées, Dr. F. Laroche et Dr. E. Soyeux, laboratoire Sanofi 2015) et Google (Ma fibromyalgie, Dr. Jean-Michel Gillot 2013). L'accès à ce dernier mode d'information est partagé par les patients. L'accès aux articles, en anglais, édités dans les revues internationales à comité de lecture exigeant est plus rarement utilisé.

Depuis ces descriptions initiales qui sont reprises par les auteurs que nous avons cités d'autres symptômes ont fait leur apparition. Dans le fascicule publié par Sanofi ce sont: Douleurs dentaires et de la mâchoire, phénomène de Raynaud au froid, pâleur, sensation de doigts morts, vertiges, malaises, fourmillements des doigts, sensations subjectives de gonflement, de tuméfaction des zones douloureuses. Dans la description de "ma fibromyalgie" sur Internet apparaissent, parmi les Symptômes somatiques pouvant être pris en compte: douleur musculaire, difficulté de concentration ou problème de mémoire, faiblesse musculaire, crampes, picotement, engourdissement, vertiges, insomnie, dépression, constipation, douleur épigastrique, nausées, nervosité, douleur dans la poitrine, troubles visuels, fièvre, diarrhée, bouche sèche, démangeaison, dyspnée, acouphènes, vomissement, brûlure d’estomac, aphtes, troubles du goût, yeux secs, essoufflement, perte d’appétit, rougeurs , éruptions , sensibilité au soleil, troubles auditifs, tendance aux ecchymoses, perte de cheveux, pollakiurie, dysurie et spasmes vésicaux, dysfonction temporo-mandibulaire (SADAM), céphalées chroniques, acouphènes chroniques, syndrome de Gougerot-Sjögren, endométriose, douleurs pelviennes chroniques, vulvodynie, cystites interstitielles."

 

Une similitude parfaite avec les signes cliniques de la maladie d'Ehlers-Danlos.

Il est très remarquable de constater que la totalité des symptômes répertoriés dans la description de la fibromyalgie aujourd'hui sont ceux reconnus par de nombreux auteurs tels que le Professeur Antonio Bulbena à Barcelone (1), le Professeur Rodney Grahame à Londres (2), Pradeep Chopra (3) à Rhodes Island, USA, le Professeur Daniel Manicourt à Bruxelles, d'une maladie héréditaire du tissu conjonctif, le syndrome d'Ehlers-Danlos. Cette description a été complétée par un échantillon de 636 patients (prélevé dans une cohorte de 2577 patients diagnostiqués), comparés à 826 sujets, à priori en bonne santé, pris dans la population générale. Ce travail a été présentée à l'Académie nationale de Médecine le 28 février 2017 (4). Une modélisation mathématique a permis d'établir une liste de signes cliniques qui font de poser le diagnostic avec une sensibilité de 98% et une spécificité de 99, 6%. La constatation de cas identiques, même incomplets, dans la famille apportant la certitude du caractère héréditaire en l'absence de test génétique disponible dans les formes le plus souvent rencontrées.

 

Le diagnostic de certitude de la maladie d'Ehlers-Danlos par la clinique.

Il repose sur l'association des signes suivants :

1 - Des douleurs articulaires et périarticulaires, de localisations multiples, diversement réparties (cou, épaules, coudes, poignets, doigts, dos, bassin, hanches, genoux, chevilles, pieds), de type "neuropathique" ou bien, brèves et très violentes, variables en intensité (souvent très forte) selon la localisation, évoluant habituellement par crises sur un fond continu, aggravées, avec souvent un décalage au lendemain, par l'activité physique et pouvant persister longtemps.

2 - Une sensation de fatigue importante, présente dès le réveil, avec impressions de pesanteur, de lourdeur du corps, exagérée lors de crises imprévisibles, avec parfois des accès de somnolence. La fatigue est très souvent considérée, par les patients, comme le symptôme qui responsable du plus grand nombre de situations de handicap.

3 - Des troubles du contrôle des mouvements volontaires, d'origine proprioceptive, avec maladresses, heurts d’obstacles ("signe de la porte"), déviation de la marche, chutes parfois.

4 - Une instabilité articulaire responsable de pseudo entorses, de blocages articulaires, de subluxations (incluant les craquements articulaires) ou de luxations.

5 - Une peau amincie, pâle, transparente, laissant voir le réseau veineux sous cutané aux avant-bras, au dessus des seins et dans le dos, douce au toucher, ne protégeant pas contre l'électrostatisme ce qui entraîne des sensations de décharge électrique au contact d'objets métalliques (portière de voiture, caddy, contact physique avec une autre personne).

6 - La mise en évidence d'une hypermobilité articulaire, plus ou moins diffuse, qui a dans l'enfance (mettre un pied derrière la tête, faire le grand écart facial) et disparaître plus tard ou bien être masquée par les douleurs et/ou les contractures musculaires au niveau de certaines articulations. Son absence n'exclut pas le diagnostic. Des rétractions (semimembranus, biceps femoris, semitendinotus, triceps surae) peuvent même se rencontrer, surtout chez l'enfant.

7 - Des reflux gastro œsophagiens qui peuvent survenir tôt dans la vie (prise de biberon). Ils provoquent des irritations bronchiques.

8 - Des ecchymoses, étendues, survenant pour des traumatismes minimes, souvent passés inaperçus, ou du purpura.

9 - Une hypersensorialité qui se traduit par des vertiges, survenant aux changements de position de la tête, compromettant l'équilibre postural et/ou une hyperacousie avec une perception très fine des sons et une intolérance aux bruits.

Une description complète d'Ehlers-Danlos est nécessaire pour éviter les confusions diagnostiques et les effets iatrogènes (coloscopies, chirurgie, anticoagulants, morphine, corticoïdes, psychiatrisation, etc.) aux conséquences souvent sévères ou même graves mettant la vie en péril.

Les signes suivants peuvent coexister, faisant partie intégralement du tableau clinique du syndrome d'Ehlers-Danlos, contribuant à son identification, nécessitant une prise en charge thérapeutique: dysautonomie (troubles vasomoteurs des extrémités  avec pieds froids, évoquant à tort un syndrome de Raynaud, palpitations, sueurs, frilosité, fièvres inexpliquées), hypersensorialités (cutanée, olfactive), une constipation, des douleurs extra articulaires (abdomen, côtes,) des troubles du sommeil, de la dystonie (tremblements, secousses musculaires, contractures, de la fragilité cutanée (troubles de cicatrisation, vergetures), une étirabilité cutanée excessive, une tendance hémorragique diffuse (gingivale, génitale), des manifestations respiratoires (blocages, essoufflements), des troubles de la vision binoculaire, des altérations bucco-dentaires, troubles vésico-sphinctériens, des troubles sexuels (dyspareunie), des accidents obstétricaux, des troubles cognitifs (mémoire, attention, concentration, orientation), affectivité, comportement (anxiété, émotivité, spectre autistique), des manifestations évocatrices d’un syndrome d’activation mastocytaire ou SAMA (urticaire superficielle et profonde, flush, exanthème non spécifique particulièrement après une douche, prurits).

 

Conclusions

1 - La comparaison des descriptions de la fibromyalgie et de celles du syndrome ou maladie d'Ehlers-Danlos, conduit à une superposition parfaite. Il ne peut s'agir de deux maladies différentes ayant strictement les mêmes symptômes. Il est remarquable que, sous une fausse identité, des cliniciens avertis aient décrit une maladie qui avait connu bien des avatars allant jusqu'à la négation très fréquente de son existence, en l'absence de preuves biologiques ou d'imagerie.

2 - L'emprise de la psychosomatique, le déclin de la clinique, de la confiance faite au patient, une médecine organisée par organes désorientée devant un ensemble de signes multiples et, de plus, variables expliquent le fait que cette maladie, plutôt que syndrome (9) n'est jamais diagnostiquée ou avec un retard dont la moyenne est de 22 ans.

3 - Au delà des accidents iatrogènes, du fait de ne pas profiter des traitements efficaces qui existent, il a la transmission génétique. Nos nombreuses observations cliniques nous ont appris que, lorsqu'un des parents est atteint, tous les enfants sont atteints.

4 - Un autre aspect est épidémiologique. Le chiffre de 1,4% est volontiers avancé à propos de la fibromyalgie. C'est cette même incidence que nous retrouvons en nous appuyant sur le nombre de cas dépistés par des généralistes qui connaissent les critères diagnostics. Ce n'est pas une maladie rare mais la considérer comme telle est qu'une difficulté rencontrée dans son identification par les médecins praticiens et les centres anti-douleurs. Il est étonnant de constater que l'on continue à affirmer, sans argument, par manque de critères diagnostics, quelle représente un cas sur 5000 naissances. Une enquête effectuée auprès d'une MDPH de la région parisienne (Trabelsi N., Hamonet Cl., "Contribution à l’épidémiologie du syndrome d’Ehlers-Danlos", Journal de réadaptation médicale, 2012, 32, 2, 51-55.) a montré que, sur 55 dossiers identifiés conjointement par deux médecins comme ayant un syndrome d'Ehlers-Danlos, 45 étaient diagnostiqués initialement fibromyalgie, aucun n'était diagnostiqué Ehlers-Danlos.

5 - La physiopathologie s'éclaire si on considère que la cause unique de tous les symptômes est la conséquence des propriétés biomécaniques particulières du conjonctif, de tout les conjonctif (incluant, muqueuses, peau et phanères, système musculo-tendineux et ligamentaire, organes sensoriels). L'origine est héréditaire par mutation (s) des collagènes. Les conséquences sont la fragilité de tous les tissus chez tous les patients à des degrés divers expliquant les difficultés de cicatrisation, la fragilité des petits vaisseaux et les saignements, le risque d'anévrysmes artériels. L'autre conséquence est une perturbation généralisée des messages envoyés par les capteurs disséminés dans l'ensemble du corps (perception des sensations internes, externes et de l'environnement proche), instituant ne relation entre le corps et le cerveau particulière. Il en résulte un gigantesque syndrome proprioceptif qui explique les douleurs (hyper sensorialité), les troubles de la marche, les pseudo paralysies, la dystonie etc.

Un syndrome aussi fréquent, aussi trompeur aux conséquences humaines lourdes ne peut pas continuer à être ignoré. Il apparaît nécessaire de le faire connaître à tous les médecins amis aussi aux odontologistes, aux sages-femmes, aux psychologues, aux enseignants…

 

Bibliographie

1 - Grahame R., Le syndrome d'hypermobilité. Introduction du premier colloque international francophone "Les traitements du syndrome d'Ehlers-Danlos" du 7 mars 2015. Journal de Réadaptation médicale, volume 36.N° 1. 7-8.Fevrier 2016.

2 - Chopra P., Tinkle B., Hamonet C., Brock I., Gompel A., Bulbena A., Francomano C.,Pain management in the Ehlers-Danlos syndromes, American Journal of Medical Genetics Part C Seminars in Medical Genetics · February 2017.

3 - Bulbena A, Duró J, Mateo A, Porta M, Vallejo J., Joint hypermobility syndrome and anxiety disorders. Lancet 1988;2:694.

4 - Hamonet C., Metlaine A., Brock I., Amoretti R., Pommeret N., Syndrome d’Ehlers Danlos type III hypermobile : validation d’une échelle clinique somatosensorielle à propos de 626 cas, Bull. Acad. Natle Méd., 2017, 201, n°2, séance du 28 février 2017.

5 - Hamonet C., Ducret L., Ehlers-Danlos-Tschernogobow Syndrome: A Frequent, Rarely Diagnosed. Disease whose Patients are often the Victim of an Abusive Psychiatrization. J. Depress. Anxiety 2017, 6:3 DOI: 10.4172/2167-1044.1000275.

6 - Hamonet C., Ducret L., Ehlers-Danlos, an Unknown and Disturbing Syndrome. Free Comments. Theranostics Brain disord, volume 2, issue 4, nov. 2017

7 - Bernard Bannwarth, Francis Blotman, Katell Roué-LeLay, Jean-Paul Caubère, Etienne-André, Charles Taïeb, "Étude de la prévalence de la fibromyalgie dans la population française". Revue du Rhumatisme, Volume 76, Issue 9, October 2009, Pages 274-278.

8 - Trabelsi N., Hamonet Cl., «Contribution à l’épidémiologie du syndrome d’Ehlers-Danlos», Journal de réadaptation médicale, 2012, 32, 2, 51-55.

9 - Hamonet C, Gompel A, Mazaltarine G, Brock I, Baeza-Velasco C, et al. Ehlers-Danlos: Syndrome or Disease ? J Syndromes. 2015;2.