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Claude Hamonet

 

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Les saignements dans le syndrome d’Ehlers-Danlos

Nécessité d’une réhabilitation sémiologique


 

La tendance hémorragique dans la maladie d’Ehlers-Danlos ou l’histoire contrariée d’un signe essentiel, oublié ou négligé

Les hémorragies figurent dans le titre de la communication fondatrice de cette maladie, faîte par Edwards Ehlers, le 15 décembre 1900, à la Société danoise de Dermatologie, à Copenhague : « Cutis laxa, tendance aux hémorragies de la peau, relâchement de plusieurs articulations (cas pour diagnostic) ». Il termine la présentation remarquable de ce « cas clinique » d’un étudiant en droit par la phrase suivante : « cet homme avait des hémorragies abondantes ».

Ce signe, est resté dans l’ombre, supplanté par l’hypermobilité et le trop populaire, et incertain, étirement excessif de la peau, abusivement mis en valeur par Alexandre Danlos (Paris, 1908). A tel point que, beaucoup parmi les médecins, le considèrent encore, à tort et au détriment des autres signes plus fréquents (et donc plus « utiles »), comme indispensable au diagnostic, alors qu’il manque ou reste discret dans la très grande majorité des cas.

Plus récemment, l’accent a été mis, à juste titre, sur la possibilité de complications artérielles (anévrysmes) multiples avec la menace de rupture, dans certaines formes, heureusement très rares, de la maladie. Ces formes (SED vasculaire) ont une réputation pronostique sinistre et font peur. La présence, là aussi, d’hémorragies a été présentée comme un signe important en faveur de leur diagnostic. Ceci a induit chez les patients hémorragiques mais ayant une autre forme clinique de la maladie, et chez leurs poches, des craintes infondées.

En fait, la tendance hémorragique est quasi constante dans toutes les expressions cliniques de cette maladie. C’est le cas, dans les formes les plus souvent rencontrées, algo-asthéniques, d’Ehlers-Danlos, aussi appelées hypermobiles. Nous les retrouvons dans 92% des cas de la première série de nos 644 patients, présentée au Premier Symposium international sur le syndrome d’Ehlers-Danlos, à Gand, en Belgique, le 8 septembre 2012.

Cette tendance aux hémorragies avait, initialement, entraîné des erreurs d’interprétation de leur mécanisme. Dans sa thèse de Médecine (Paris 1933), Achille Miget les attribue à une hémophilie associée. Alors qu’elles sont dues à la fragilité des vaisseaux et, en particulier, des capillaires. Une connaissance insuffisante de la maladie d’Ehlers-Danlos conduit, encore, parfois, à des discussions avec certaines maladies de la crase sanguine (maladie de Willebrand, par exemple).

Mises à part cette erreur, la thèse de Miget est remarquable par la qualité clinique de ses descriptions. Il insiste notamment, de façon prémonitoire, sur le fait que ce syndrome doit être moins rares qu’on ne le pense mais qu’il est rarement diagnostiqué, en particulier dans les formes frustes, qu’il suppose être les plus nombreuses. C’est lui, aussi, qui associera, pour la première fois, à cette maladie les deux noms éponymes des dermatologues Ehlers et Danlos qui lui resteront attachés.

 

Description des hémorragies de la maladie d’Ehlers-Danlos

Elles ont une origine tissulaire (fragilité des vaisseaux) et s’inscrivent dans l’ensemble des manifestations de fragilité du tissu conjonctif que l’on rencontre dans cette maladie.

La diffusion de ces lésions expliquent qu’elles concernent tout le corps humain et l’on peut parler, à l’instar de la notion du corps douloureux, d’un corps hémorragique, tant ce signe est banal chez ceux qui sont atteints.

Les saignements s’expriment, le plus souvent, au niveau de la peau, par la qualité de ses des ecchymoses, des hématomes, ou des hémorragies prolongées à l’occasion d’une blessure (coupure, poncture). Ils intéressent, aussi, les muqueuses (saignements de nez abondants mais plutôt rares, le fait principalement de l’enfance, gingivorragies surtout, microhématuries, melaenas, rectorragies, vomissements sanglants, hémorragies vaginales et, de façon quasi constante, des règles abondantes. Un point de clinique, souvent observé : l’addiction particulière des moustiques pour cette peau, si facile à transpercer, et qui saigne si bien.

 

Signification diagnostique de la présence d’un syndrome hémorragique dans la maladie d’Ehlers-Danlos

L’existence d’un syndrome hémorragique diffus est l’un des six grands signes cliniques permettant le diagnostic. Les autres étant les douleurs, la fatigue, les troubles proprioceptifs, la fragilité cutanée et l’hypermobilité. Ce diagnostic est confirmé par la présence de signes identiques chez un ou plusieurs autres membres de la famille, signant ainsi le caractère génétique. Les mutations génétiques récentes sont l’exception. Le niveau d’expression clinique est excessivement variable au sein d’une même famille et, chez un individu, au cours de son existence. Les formes incomplètes ou frustes sont, heureusement, majoritaires. C’est dire que l’interrogatoire doit être minutieux pour sortir de leur banalisation habituelle les éléments significatifs. Inversement, ils prennent tout leur sens par l’association à une forme typique.

 

Conséquences pathologiques

Il s’agit, le plus souvent, de saignements modérés, bien compensés. Par contre, leur répétition expose à des avatars tels que celui du diagnostics inapproprié d’un syndrome de l’enfant battu, ce qui n’est pas exceptionnel dans notre expérience. Les violences faîtes aux enfants étant un sujet médiatisé, ceci, dans l’ignorance généralisée de la maladie d’Ehlers-Danlos, donne des idées aux enseignants, aux moniteurs sportifs ou aux voisins. Curieusement, nous avons observé que ces ecchymoses, n’alarment guère la plupart des médecins qui ont tendance, ainsi que les parents lorsqu’il s’agit d’enfants, à les banaliser et à les rattacher aux activités de jeux. Alors que le diagnostic d’Ehlers-Danlos est, sans aucun doute, étant donnée sa fréquence, l’un des plus probable, dans un tel cas.

Mais la répétition peut entrainer une anémie chronique, une déglobulisation et une baisse du taux de fer sérique qui peuvent avoir des effets généraux qui se mêlent à ceux du syndrome (ou bien en font partie, en fait). Une telle situation justifie des traitements de compensation en fer.

Des accidents hémorragiques plus importants peuvent survenir, ils sont spontanés ou déclenchés par un traitement anticoagulant, une coloscopie, une intervention chirurgicale ou un accouchement. Nous avons rencontré le cas d’une femme, traitée par une antivitamine K pour une phlébite d’un mollet. Elle a développé un syndrome des loges au niveau du bras et de l’avant-bras, à l’occasion d’une ponction veineuse pour contrôle du taux de prothrombine. Elle était toute proche d’une amputation du membre supérieur qui a pu être évitée grâce à une large incision chirurgicale de décharge du poignet au creux axillaire, faîte en urgence. Dans un autre cas, au décours d’un accouchement, survient une hémorragie massive alors que la femme est seule dans sa chambre. Elle sonne, l’infirmière ne vient pas. Elle doit son salut au fait que l’accoucheur, avant de quitter son service est venu lui dire au revoir. Il trouve sa parturiente dans une mare de sang. Deux litres de sang ont du été transfusés. Une autre fois, c’est une coloscopie qui  déclenche une hémorragie brutale compensée, là aussi, par deux litres de sang.

Le syndrome hémorragique peut accompagner la rupture d’une artère  dont les parois sont fragilisées, comme nous l’avons observé, après un traumatisme de l’épaule responsable d’une rupture de l’artère humérale, heureusement sans suite, car opérée à temps. Ceci peut aussi se produire, aussi, lors d’une tentative de réduction utilisant la méthode dite d’Hippocrate ou bien d’une manipulation cervicale entraînant une lésion de l’artère vertébrale. Les ponctions ou injections artérielles sont, bien entendu, dangereuses. Cette fragilité artérielle, avec ou sans anévrisme, entraîne, potentiellement, un risque de rupture ou de dissection au niveau des parois artérielles existe dans toutes les formes cliniques du syndrome d’Ehlers-Danlos mais elles sont, actuellement, mal répertoriées.

 

Conduites à tenir et recommandations

1 - Éviter les traitements anticoagulants.
Ils sont assez facilement prescrits dans la maladie d’Ehlers-Danlos lors d’une immobilisation pour pseudo entorse, la présence d’une ecchymose, banale dans la maladie d’Ehlers-Danlos, faisant porter, à tort, le diagnostic d’entorse grave avec rupture ligamentaire, nécessitant un temps de cicatrisation. Dans la maladie d’Ehlers-Danlos, il n’en est rien, les ligaments sont trop étirables pour se rompre facilement. De plus, l’immobilisation est potentiellement nocive entraînant un risque d’aggravation du syndrome proprioceptif. Le deuxième motif de prescription d’anticoagulants est la phlébite du mollet. Le diagnostic de phlébite n’est pas évident dans la maladie d’Ehlers-Danlos du fait de la fréquence des douleurs musculaires et de la sensibilité habituelle des muscles à l’étirement et aux pressions appuyée. L’échographie peut apporter des arguments en faveur d’une thrombose mais n’est pas toujours facile à interpréter sur des veines distensibles et aux trajets tortueux. Le troisième motif est la survenue d’un syndrome proprioceptif pseudo paralytique, confondu avec un accident vasculaire cérébral intermittent (AIT), avec la prescription, cette fois d’antiagrégants plaquettaires; ce qui comporte aussi une risque hémorragique.

2 - Tenir compte de ce risque dans tout geste chirurgical qui doit être précautionneux, prévoyant l’éventualité de devoir transfuser.
Les soins dentaires peuvent être à l’origine d’hémorragies difficiles à contenir, les odontologistes doivent être particulièrement avertis. Il en, de même pour, tout acte chirurgical, même en apparence simple, comme une amygdalectomie. Cette dernière est souvent pratiquée, compte-tenu des nombreuses infections des voies aériennes supérieures observées  dans l’enfance dans cette maladie. Les biopsies, musculaires et cutanées, assez souvent pratiquées ne sont pas contributives au diagnostic qui repose sur les seuls arguments cliniques et sont donc à proscrire.

3 - Éviter les endoscopies (coloscopie, gastroscopie, laryngoscope, bronchoscopie, cystoscopies).
Elles peuvent déclencher des hémorragies, difficiles à contrôler, des plaies ou des perforations. Elles sont, le plus souvent inutiles, lorsqu’on connait la clinique de la maladie qui explique le ou les symptômes incriminés et n’apportent aucun élément diagnostic spécifique. Certaines circonstances (suspicion de cancer) pourraient les justifier, dans ce cas, il faut leur préférer des méthodes moins traumatisantes (coloscanner par exemple) ou bien être effectuées avec la plus extrême prudence.

4 - Réaliser les injections avec prudence et discernement.
Les ponctions lombaires, les injections intra-articulaires, les infiltrations intravertébrales (inutiles ici) sont à éviter, les infiltrations para tendineuses, ou des « points gâchettes » intramusculaires, très efficaces dans un grand nombre de cas, en utilisant la Lidocaïne seule, doivent être pratiqués avec douceur (pénétration de la peau très lente), en utilisant des aiguilles très fines. Il en est de même de l’acupuncture et de la mésothérapie qui peuvent contribuer à des améliorations transitoires.

5 - Éviter les massokinésithérapies agressives. Utiliser largement les vêtements compressifs et proprioceptifs spéciaux.
C’est le cas de massages trop violents, de percussions vigoureuses, de glissés trop appuyés, d’étirements cutanés excessifs, de pétrissages énergiques... toutes ces manœuvres étant, par ailleurs, douloureuses et ceci, de façon durable, au delà des séances. Les douches au jet, trop appuyées, peuvent aussi provoquer des hématomes.
Les orthèses peuvent créer des hémorragies cutanées ce qui en limite parfois l’usage. Des adaptations personnalisées, surtout pour les orthèses souples, permettent souvent d’éviter cet inconvénient. Les orthèses rigides (thermoplastiques) sont, de ce point de vue (et du fait, aussi, de leur poids), moins indiquées à la main au bénéfice de matériaux, plus légers, mieux tolérés. Les vêtements spécialement conçus pour la maladie d’Ehlers-Danlos (gilet, pantys, gantelets, chevillières), dérivés des vêtements pour brûlés, ont un effet proprioceptif par compression et contact cutané, ce qui limite, en soi, le risque traumatique. Ils sont rarement responsables d’ecchymoses et, de plus, ils protègent la peau contre les agressions externes, causes d’ecchymoses.

6 - Surveiller particulièrement les grossesses et les accouchements
Des hémorragies peuvent survenir au cours de la grossesse et peuvent conduire à des prescriptions de repos. Lors de l’accouchement et du post- partum, des accidents hémorragiques sont possibles. Il faut prévoir la possibilité de compenser les pertes. La délivrance est un moment délicat, qui doit être accompagné d’une surveillance attentive. Les déchirures du col peuvent être particulièrement hémorragiques.

 

Conclusion

La méconnaissance habituelle de l’ensemble des signes de la maladie d’Ehlers-Danlos, expose les personnes qui en sont atteintes, à bien des avatars médicaux, du fait de leur fragilité tissulaire.

Parmi ceux-ci, le risque d’accidents hémorragiques, parfois graves, est probablement celui qui doit retenir, en premier, l’attention des médecins et les conduire à le prendre très au sérieux.

Le médecin doit savoir évoquer la maladie d’Ehlers-Danlos devant un syndrome hémorragique et en faire le diagnostic. Ceci est cliniquement facile, sans investigation complémentaire, par une écoute attentive du patient devant l’association de symptômes évocateurs. Il doit aussi faire confiance à un  patient et se montrer prudent s’il annonce ce diagnostic qui est encore loin d’être pris au sérieux par le corps médical. Ce dernier reste encore influencé par les images caricaturales des contorsionnistes et des étirements monstrueux de la peau montrés dans les spectacles de foire et voient davantage ces patients comme des curiosités que comme des patients qui sont souvent en très grande souffrance et fragiles. Ceci doit rapidement évoluer, ne serait-ce qu’à cause du nombre d’accidents thérapeutiques observés.