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Claude Hamonet

 

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Une maladie génétique méconnue, responsable
de très nombreuses situations de handicap :
la maladie d’Ehlers-Danlos.

Note d’information destinée aux équipes d’évaluation des MDPH

Consultation de Thérapeutique et Réadaptation des Personnes avec un Syndrome d’Ehlers-Danlos, Service de Médecine Physique (Pr. Ph. Azouvi, Docteur J.Y. Maigne) Hôtel-Dieu de Paris, 1 place du Parvis Notre-Dame 75180 Paris Cedex 04 ; Téléphone : 01 42 34 82 46, télécopie : 01 42 34 82 23.

 

Introduction

Le syndrome ou maladie d’Ehlers-Danlos doit son nom à deux médecins, l’un Danois (Ehlers, 1900) et l’autre Français (Danlos 1908), qui ont publié chacun un cas d’une affection associant hypermobilité articulaire et étirabilité cutanée. Cette description initiale est tronquée et ne rend compte que d’une partie (la plus visible, voire spectaculaire dans certains cas de contorsionnisme) et néglige les deux symptômes, de loin les plus handicapants, que l’on rencontre dans la forme la plus commune les douleurs et la fatigue. Malheureusement, du fait d’une rémanence dans la transmission des connaissances médicales ce sont seulement les deux signes initialement décrits qui ont été retenus par les médecins et transmis pour ceux, minoritaires, qui en ont entendu parler. L’opinion, largement répandue, surtout dans les milieux rhumatologiques, est que cette affection n’est pas douloureuse et que si douleurs il y a, elles ont une autre origine ! Comme on ne trouve pas cette origine (l’arthrose, notamment apparaît comme exceptionnelle dans notre expérience), c’est naturellement vers le comportement psychique de la personne que l’on se retourne avec plus ou moins de tact. Les patient(e)s s’entendent dire : « c’est dans la tête » ou bien sont directement adressé(e)s au psychologue ou au psychiatre avec des étiquetages variés, se référant ou non à la DSM, mais dans lesquels on retrouve volontiers les termes stigmatisants d’hypochondrie et d’hystérie. La résistance des douleurs aux antalgiques, mêmes puissants (généraux et locaux), ne fait qu’accréditer, à tort, la « théorie psychique » des médecins. De plus, si ces personnes, déjà fortement asthéniques, échappent aux effets antalgiques, par contre, ils n’échappent pas aux effets secondaires des médications usuellement utilisées dans les centres anti-douleurs. C’est dire l’imbroglio médico-psycho-socio-thérapeutique dans lequel évoluent bon nombre de ces patients et leurs familles. Enfin, pour ajouter à la confusion, les manifestations de la maladie ne sont pas stables, elles s’expriment différemment selon les moments, s’accentuant à l’occasion de crises, régressant plus ou moins à d’autres, ce qui parait suspect pour les médecins non avertis.

 

Une maladie handicapante d’origine génétique à dominante féminine

Le support lésionnel est ici le tissu conjonctif qui, du fait de particularités génétiquement transmises selon le mode autosomique dominant selon le mode autosomique, dominant est déficitaire. Singulièrement, la population féminine domine largement parmi nos patients (plus de 80%) ce qui oriente vers le rôle hormonal dans l’expression des symptômes. Le rattachement des manife0stations cliniques au type d’atteinte histologique a été tenté, notamment par les généticiens, pour obtenir une typologie. Après avoir décrit 11 formes, puis 6, puis 4, ils retiennent généralement trois formes :

  1. « Classique » à dominante cutanée,
  2. « Hypermobile » à dominante articulaire,
  3. « Vasculaire », très redoutée des patients pour la survenue d’accidents vasculaires, digestifs et utérins de mauvaise réputation.

En fait cette classification est peu utilisable en pratique, notamment pour les orientations thérapeutiques et de réadaptation sociale qui sont attendues par les personnes concernées et leurs proches.

De plus, il n’y a aucun critère paraclinique (histologique, biologique ou génétique) permettant de faire avec certitude le diagnostic. Il est uniquement clinique sur l’associations de manifestations multi-organes mais pour la même cause : les singularités de la trame élastique.

C’est pourquoi, nous appuyant sur une population de 350 cas dont un bon nombre a un suivi de plusieurs années, nous préférons une classification purement clinique en trois groupes :

  1. Les formes communes asthéno-algiques, de très loin les plus fréquentes (90% dans notre série)
  2. Les formes non douloureuses.
  3. Les formes frustes (ce sont les formes masculines habituelles)

Dans chacune de ces formes peuvent s’observer les composantes suivantes (généralement plusieurs) : cutanées (signes de fragilité cutanée, étirabilité, hyperesthésie cutanée), hémorragiques par fragilité tissulaire (ecchymoses ; gingivorragies, épistaxis, ménorragies), articulaires (hypermobilité, entorses, subluxations et luxations, scoliose), proprioceptives (diminution ou perte du sens de positionnement du corps, maladresses, pseudo-paralysies, chutes) digestives (constipation, douleurs abdominales, reflux gastro-oesophagien), respiratoires (dyspnée spontanée ou à l’effort, bronchites), cardio-vasculaire (tension basse, fuites valvulaires, anévrismes ou ruptures artérielles contre-indiquant formellement les manipulations cervicales), et neurovégétatifs (frilosité, troubles vaso-moteurs, sudations, fièvres isolées, migraines.), ORL (hypo et/ou hyperacousie, acouphènes, vertiges hyperosmie), bucco-dentaires (douleurs et subluxations ou luxations des ATM, altérations dentaires, atteintes gingivales), ophtalmologiques (fatigue visuelle, troubles de la convergence), vésico-sphinctériennes (rétention vésicale chronique avec miction par regorgement, perte ou diminution du besoin, incontinence, infections urinaires), génito-sexuelles (dyspareunie, frigidité, fausses couches, accouchements difficiles), neuropsychologiques (troubles de la mémorisation, de l’attention, de l’organisation, de l’orientation).

C’est précisément de la diversité de ces manifestations que naît la certitude du diagnostic. Certains signes sont cependant plus significatifs : fatigue, douleurs, fragilité cutanée (cicatrisation difficile, blessures faciles, vergetures), syndrome hémorragique, hypermobilité (elle peut s’atténuer avec l’âge), troubles proprioceptifs, constipation opiniâtre, signes bronchiques.

Ce diagnostic est facile, lorsque l’on a déjà la connaissance d’un autre cas dans la famille ou bien si on est initié. Ailleurs, on assiste à de nombreuses confusions. Si on exclut celles qui relèvent de la psychiatrie, celles qui restent ne sont pas toujours anodines (sclérose en plaques, polyarthrites, syndrome du défilé des scalènes, polyarthrites, maladie de Willebrandt, maladie caeliaque, maladie de Lyme, syndrome des enfants battus ou des femmes battues …). De multiples interventions orthopédiques inutiles (jusqu’à 30 chez une patiente, 40 chez une autre…) sont réalisées par des chirurgiens ignorants du syndrome ou négligents vis à vis des conséquences. Le tube digestif paie, aussi, un assez lourd tribut avec des amputations qui auraient, probablement pu être évitées par une meilleure prévention et connaissance de la maladie. La confusion avec la maladie de Marfan qui a en commun avec celle d’Ehlers-Danlos l’hypermobilité et a été davantage enseignée aux médecins à cause de ses complications vasculaires, est souvent faite. Mais (médiatisation et effets de modes médicales obligent) c’est surtout la fibromyalgie qui est évoquée. Ce diagnostic communément posé chez des femmes hyperalgiques et asthéniques implique vraiment, avant d’être posé, de s’assurer qu’il ne s’agit pas, en fait, d’une authentique maladie d’Ehlers-Danlos.

 

Une évolution imprévisible et capricieuse

L’évolution est véritablement anarchique, des manifestations existent dès la petite enfance et passent le plus souvent inaperçues sauf si un membre de la fratrie ou un parent est déjà diagnostiqué. C’est à la préadolescence que les signes sont plus évidents pour persister toute la vie génitale avec des répits importants lors des grossesses. Ce n’est pas une maladie évolutive telles que certaines maladies dites « dégénératives » mais le degré de tolérance de cet état conjonctif particulier varie.

Apparaissent des poussées de durées variables (de quelques jours à quelques mois) lors desquelles l’ensemble des symptômes s’accentue et donc le handicap. Les traumatismes physiques, les aspects climatiques, les efforts intensifs, les traumatismes psychologiques, les facteurs hormonaux figurent parmi les facteurs déclenchants avec lesquels ces patients devront compter pour organiser leur vie. Cette variabilité ne facilite pas la mise en place d’un programme de réadaptation tant pour la scolarisation que pour la vie professionnelle. En dehors de ces poussées, la plupart des personnes qui sont handicapées, continuent à l’être.

 

Un handicap « invisible » mais bien réel

L’association des diverses manifestations cliniques que nous avons décrites est responsable de limitations fonctionnelles parfois sévères ou très sévères faisant de certaines personnes avec une maladie d’Ehlers-Danlos des personnes très handicapées ; mais leur apparence est souvent trompeuse. Les symptômes les plus handicapants (fatigue, douleurs, troubles du schéma corporel, fatigue visuelle…) sont subjectifs et peuvent varier dans le temps. L’examen clinique est relativement pauvre en dehors de l’hypermobilité, des signes cutanés (cicatrices, ecchymoses), de la scoliose discrète, de l’avant-pied affaissé au podoscope. La force musculaire est normale (l’électromyogramme, inutile au diagnostic positif et pénible, l’est aussi). Le fait d’utiliser un fauteuil roulant mécanique ou motorisé et de pouvoir se lever et marcher peut surprendre un examinateur non averti. Même si le recours au fauteuil roulant n’a pas lieu, la fatigabilité douloureuse, l’instabilité à la marche, mal compensée par les cannes du fait de l’atteinte concomitante des membres supérieurs, justifie pleinement de bénéficier des places de stationnement réservées.

Dans la vie quotidienne, l’apport d’aides techniques situationnelles et d’aides humaines est un point essentiel pour maintenir l’autonomie et économiser la fonctionnalité en réduisant ou supprimant les contraintes génératrices de douleurs durables et de crises.

 

Des solutions thérapeutiques palliatives existent conjointement aux solutions sociales

Elles relèvent de la Médecine Physique : Les contentions élastiques (tronc , mains, membres inférieurs, l’utilisation d’un ou deux TENS contre les douleurs, la balnéothérapie chaude, les orthèses rigides plantaires ou de mains, les gels, les infiltrations parfois, la kinésithérapie proprioceptive, l’ergothérapie centrée sur l’adaptation ergonomique avec aides techniques (écriture, autres activités de la vie quotidienne, coussins et matelas anti-escarres), l’utilisation d’un respirateur type « percussionnaire » avec ou sans oxygénothérapie associée.

 

Au total

La maladie ou syndrome d’Ehlers-Danlos apparaît comme une entité pathologique handicapante mal connue et donc souvent mal étiquetée pour laquelle la rééducation peut apporter un mieux fonctionnel et la réadaptation un mieux social à condition toutefois de connaître le syndrome et de pouvoir comprendre les souffrances et difficultés de ceux qui en sont atteints.

 

Hôtel-Dieu de Paris, le 05 septembre 2009.