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Claude Hamonet

 

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Instabilité de l’épaule et syndrome d’Ehlers-Danlos :

Méfiez-vous d’Hippocrate !

 

Lors de la tentative de réduction d’une luxation de l’épaule selon la méthode d’Hippocrate, il y a un risque de rupture artérielle avec la possibilité de lésions graves du membre supérieur. Ce risque n’est pas l’apanage des formes dites « vasculaires » dans lesquelles les parois artérielles sont particulièrement fragiles, il existe dans toutes les formes cliniques du Syndrome.

 

L’instabilité et la luxation de l’épaule, un problème courant pour les personnes qui ont un syndrome d’Ehlers-Danlos.

Parmi les articulations responsables de douleurs, de subluxations avec accrochages plus ou moins douloureux ou de luxations complètes dans le Syndrome d’Ehlers-Danlos, figurent les épaules. Les luxations sont quasi spontanées (la nuit en particulier) ou bien surviennent lors d’une chute (dans la salle de bain par exemple) ou d’un simple mouvement de l’épaule (se coiffer, enfiler un vêtement). Elles peuvent se produire dans toutes les directions et pas seulement, comme cela est habituel en dehors du syndrome, en avant et en dedans (luxation antéro-interne). Dans la majorité des cas, elles sont réduites par la personne elle-même sans grande difficulté selon une procédure qu’elle a bien mise au point.

L’hypermobilité de cette articulation peut entraîner un étirement des artères qui sont également fragiles et peuvent, même en dehors de la forme d’Ehlers-Danlos avec de fréquentes complications artérielles (SED vasculaire) être le siège de dissection avec thrombose ou de rupture.

Contrairement à une idée reçue, les luxations de l’épaule ne sont pas le seul fait de la laxité capsulaire et/ou ligamentaire mais sont principalement la conséquence des troubles de la proprioception qui expliquent directement ou indirectement une très grande partie des manifestations du Syndrome d’Ehlers-Danlos. Ceci est important en pratique, car le renforcement musculaire de l’épaule n’est pas la vraie solution et risque même s’il s’accompagne de déplacements du bras de douleurs, voire de luxations ! C’est une rééducation proprioceptive qui convient, c'est-à-dire de resensibilisation des centres neurologiques de perception des sensations de position et de déplacement des articulations. Le port d’un gilet compressif-proprioceptif spécialement conçu pour le SED est déjà un élément. La réalisation de contractions pluriquotidiennes sans déplacement sollicitant l’épaule, au mieux avec le gilet (pour majorer les effets) : tirer les bras en arrière en comptant lentement jusqu’à 5, se reposer en comptant jusqu’à 5. Recommencer 5 fois. Serrer entre le bras et le thorax un objet léger (coussin) en procédant de même pour les temps de contraction et de repos.

L’argument en faveur de la théorie proprioceptive est que bon nombre de personnes avec le Sed sont très performantes (gymnastique, danse, sports de combat etc.) avant de rencontrer les difficultés de stabilisation articulaires alors que les articulations de l’épaule étaient déjà hypermobile.

Un autre élément est à prendre en considération dans le Syndrome d’Ehlers-Danlos c’est la dystonie qui l’accompagne souvent. Elle est responsable de « secousses musculaires segmentaires » involontaires qui peuvent déclencher la luxation même après réduction et immobilisation, ce qui fait enrager le chirurgien des urgences qui accuse la personne à qui cela arrive « d’en faire exprès ». L’usage de l’Amantadine peut, ici, avoir un effet préventif.

La chirurgie est souvent proposée, habituellement sous la forme de butées osseuses pour stabiliser l’articulation. Les échecs de ces techniques nous apparaissent nombreux face à ces luxations multidirectionnelles. De plus, nous avons observé plusieurs fois la fonte du greffon osseux (est-ce lié au fait qu’il ya du collagène dans l’os et une ostéopénie ou bien à des problèmes de vascularisation ?). Une chirurgie plus adaptée semble être la capsuloraphie de l’épaule, entreprise par le Pr. Levon Doursounian (Chirurgie orthopédique, CHU Saint-Antoine, Paris) depuis quelques années en lien avec notre consultation de l’Hôtel-Dieu. Il est insolite de remarquer que cette technique qui consiste à resserrer les tissus capsuloligamentaires de l’épaule, se rapproche des pratiques observées chez le même Hippocrate chez les nomades Scythes, grands tireurs à l’arc qui cautérisaient les tissu de l’épaule pour prévenir sa luxation comme le suggère Victor A. McKUSICK (« Heritable disorders of connective tissues », Saint-Louis, USA, 1966). « Vous trouverez la plupart des Scythes, et tous ceux qui sont nomades, avec des cautérisations aux épaules, aux bras, aux poignets, à la poitrine, aux hanches et aux lombes. La seule raison de cette pratique, c’est l’humidité et la mollesse de leur constitution ; atonie qui les empêche de tendre l’arc et d’appuyer de l’épaule le jet du javelot » (Hippocrate). Il est singulier aussi, quand on connaît l’importance du facteur climatique dans le SED, de constater que cette description des Scythes avec un probable SED figure dans le chapitre « Des airs, des eaux et des lieux » des œuvres d’Hippocrate.

 

La manœuvre d’Hippocrate

(En fait il décrit plusieurs manœuvres mais celle-ci est la plus connue et celle qui lui est le plus souvent attribuée).

« Réduction avec le talon. Ceux qui opèrent la réduction avec le talon opèrent d'une façon qui se rapproche de la réduction naturelle. Le patient doit être couché sur le dos; celui qui réduit s'assied du côté où est la luxation, il prend de ses deux mains le bras malade, il le tire, et, plaçant son talon dans l'aisselle droite, le gauche dans la gauche, il pousse en sens contraire. Il faut mettre dans le creux de l'aisselle quelque chose de rond qui s'y adapte, ce qui remplit le mieux l'intention, c'est une balle très petite et dure, comme les balles cousues avec plusieurs quartiers de cuir. Sans cette précaution le talon ne peut arriver jusqu'à la tête de l'humérus; car, par l'extension du bras, l'aisselle se creuse et les tendons qui la bordent de part et d'autre font obstacle par leur contraction. Un aide assis de l'autre côté du patient maintiendra l'épaule saine, afin que la traction exercée sur le bras malade ne fasse pas exécuter au corps une rotation. Puis, un lien souple et suffisamment large sera passé autour de la balle mise dans l'aisselle, et la maintiendra; un autre aide, saisissant les ce lien, exercera une contre-extension, assis au delà de la tête du patient, et appuyant un pied sur l'acromion. La balle sera placée aussi avant que possible dans l'aisselle, aussi près des côtes que possible, et non sur la tête de l'humérus. »

Œuvres d’Hippocrate (400 ans avant Jésus-Christ). Traduction de Littré, ancien interne des Hôpitaux de Paris, édité chez Baillère et fils de 1839 à 1861. Réédité par Javal et Bourdeaux, 1932.

 

La luxation de l’épaule aux urgences. Conduite à tenir.

C’est là un motif habituel de recours aux urgences. La première difficulté est la méconnaissance très habituelle du Syndrome d’Ehlers-Danlos et de ses particularités et tout particulièrement de la fragilité des tissus dont les artères. Les manœuvres exerçant une forte traction et dont l’amplitude est mal contrôlée doivent être proscrites. L’injection de xylocaïne au niveau des douleurs d’insertion tendineuse (V deltoïdien, coracoïde…) peut aider au relâchement musculaire, un antalgique puissant (Acupan par exemple) peut être requis. La manœuvre de réduction ne peut être standardisée car elle est adaptée à chaque personne et à chaque type de luxation, le mieux est d’être guidé par le patient qui connaît bien ses sensations, il a l’expérience de ses luxations antérieures et peut transmettre à celui qui opère s’il est sur le chemin de la ré-inclusion articulaire. Il faut savoir aussi que les douleurs ne sont jamais feintes. Dans ce syndrome, elles sont particulièrement violentes. L’immobilisation après réduction doit se faire de façon brève au mieux par l’écharpe universelle (FAG) dite de Montréal qui soutient le bras mais laisse la main libre. Il faut, en effet, préserver la proprioceptivité. Une rééducation isométrique proprioceptive peut être immédiatement entreprise aidée par le port des vêtements compressifs spéciaux. En présence de douleurs résiduelles, l’usage de la chaleur, du TENS, du Versatis, du Flector en gel est recommandé.

 

10 février 2013