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Claude Hamonet

 

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Actualisation de la clinique du syndrome d’Ehlers-Danlos

Professeur Claude Hamonet, 24 mars 2012.

 

I - À propos du diagnostic et de la reconnaissance du syndrome

En l’absence de la possibilité d’identifier le syndrome par un test génétique, bien des hésitations et des dénis médicaux s’observent encore, au détriment des patients, pour deux raisons:
- devant l’absence de deux signes considérés, par tradition, comme indispensables par bon nombre de cliniciens parce qu’ils figurent dans la description du cas unique présenté l’un par Ehlers (1900) et l’autre par  Danlos (1908) l’hypermobilité des articulations et l’étirabilité excessive de la peau qui ont beaucoup marqué l’esprit des médecins.
- devant des manifestations fréquentes dans le syndrome mais qui continuent à ne pas y  être incluses par la quasi-totalité des médecins, ce qui conduit, selon  le tableau clinique, à toutes sortes de diagnostics erronés qui vont de la fibromyalgie au trouble psycho pathologique (le fameux : « c’est dans la tête ») culpabilisant et stigmatisant en passant par Endométriose, sclérose en plaques, dystrophie musculaire, myasthénie, asthme, Crohn, Hashimoto, Ménière, Raynaud, Lyme, Gougerot-Sjogren pelvispondylite, , canal carpien, défilé des scalènes, lombosciatique, accident vasculaire cérébral, , allergies cutanées ou alimentaires diverses…

Aujourd’hui, avec l’éclatement de la pratique médicale, la difficulté pour les médecins est de globaliser les symptômes observés dans un ensemble unique donc à être « uniciste » est très grande. Ceci explique l’errance des personnes avec un SED qui vont d’un spécialiste à l’autre. L’emprise de la biologie et de « l’irémisation » sur la clinique comme si la clinique qui est le fondement même de la médecine n’avait plus de place aujourd’hui dans la relation médecin-malade. Les patients ont aussi leur responsabilité (« si vous ne savez pas docteur, prescrivez-moi une IRM ! ») persuadés qu’ils ne sont pas bien examinés s’ils n’ont pas une prescription d’image ou de biologie (ou des deux) en sortant de chez leur médecin. La négativité répétée des résultats, malgré la sévérité des symptômes, déconcerte le patient mais surtout le médecin dans la tête duquel commence à émerger un doute sur « l’organicité » des manifestations et qui se pose la question de savoir si son patient n’est pas « fonctionnel ».

C’est la porte ouverte à la « psychiatrisation » qui, dans ce cas, est source d’impasse médicosociale si le psychiatre ignore  (ce qui est habituel) le syndrome.

Enfin, la réputation de bénignité de ce syndrome entretenue, contre l’évidence, par certaines spécialités médicales et sa réputation de maladie rare donc à rarement évoquer surtout face à la banalité apparente des symptômes (douleurs, migraines, fatigue, constipation…) jouent fortement contre la reconnaissance d’un état clinique de fragilité génétiquement transmissible qui est, en fait, fréquent.

1 - De la non constance de l’étirabilité cutanée dans le SED

L’étirabilité de la peau est principalement marquée dans la forme dite classique, pas toujours facile à dissocier de la forme commune ou hypermobile, de très loin la plus fréquente. Elle peut être discrète et soumise aux appréciations personnelles de chaque clinicien qui ont tendance à considérer qu’elle est très importante dans toutes les formes de SED, récusant de la sorte bon nombre de cas authentiques. Dans notre expérience, elle manque ou est très discutable dans 30% des cas sur une série de 405 personnes avec un SED. Dans d’autres cas, elle ne se manifeste qu’à l’occasion d’une grossesse. Il ya beaucoup d’autres signes cutanés très évocateurs et contribuant positivement au diagnostic : finesse et aspect velouté (77%), cicatrisation difficile (74%), fragilité (74%), vergetures précoces ou importantes (49%), hyperesthésie (62%). Tous ces éléments sont des signes d’atrophie et de fragilité du revêtement cutané dont un signe indirect est encore l’exposition aux effets de l’électrostatisme par une moindre capacitance (capacité+ résistance de la peau filtrant les courants électriques) de la peau à laquelle, il faut ajouter les effets des troubles vasomoteurs dont la sudation abondante déjà décrite par Danlos sur l’étudiant en droit dont il a présenté le cas, il y a 110 ans.

Figure 1 : étirement cutané sur un jeune homme du même âge que celui
décrit par Edvard Ehlers le 15 décembre 1900 à Copenhague.

 

Figure 2 : vergetures de l’épaule chez un homme jeune avec un SED.

 

Figure 3 : peau fine, vergetures chez une femme avec un syndrome d’Ehlers-Danlos.

2 - De l’inconstance de l’hypermobilité articulaire dans le SED

Plus encore que l’étirabilité cutanée, l’hypermobilité  est considérée  par certains comme un signe incontournable dans le SED. Son absence élimine le diagnostic même si les autres signes sont présents. Et pourtant, cette étirabilité mesurée aujourd’hui par le test de Beighton qui cote de 0 à 9 selon la présence ou non de recurvatum des coudes et des genoux, de l’hyperextension du 5ème doigt des mains et de la flexion en avant du tronc et retient comme un syndrome d’Ehlers-Danlos les personnes avec un score égal ou supérieur à 6.

L’interprétation de ce test est à moduler : l’hypermobilité diminue avec l’âge (elle peut avoir existé dans l’enfance et ne plus être présente à l’âge adulte), le test de flexion en avant du tronc peut être faussé par l’existence paradoxale dans ce syndrome hyperlaxe mais bien réelle d’une rétraction des muscles ischio-jambiers empêchant la flexion en avant du bassin. Cette rétraction est très fréquente (plus de 90% dans une étude que nous menons actuellement) dès l’enfance. La douleur peut gêner l’examen et fausser les résultats. Enfin, nous avons, à plusieurs reprises, noté l’absence d’hypermobilité chez un membre de la famille, alors qu’elle est très présente chez les ascendants et collatéraux.

Figure 4 : SED chez une jeune femme avec un Recurvatum
important des genoux (hypermobilité ici évidente).

 

3 - Il faut donc être très méfiant et conscient des effets dévastateurs qui peuvent suivre le rejet du diagnostic sur deux signes très importants car très fréquents et très significatifs lorsqu’ils sont présents. En effet, ce rejet du diagnostic déstabilise le patient, qui ne comprend pas, et le rejette d’un processus de protection ou de réadaptation sociale auquel il a parfaitement droit. Il en est de même des signes associés (digestifs, respiratoires, urinaires, bucco-dentaires, végétatifs, auditifs, visuels...) trop souvent écartés du diagnostic de SED auquel ils contribuent en fait, qui ne sont pas comptabilisés dans la demande soins et de prise en charge en Affection de longue durée (ALD) ni reconnus comme sources de situations de handicap auprès des médecins conseils de l’Assurance maladie ou des MDPH.

Le diagnostic du SED doit prendre en considération que tous les symptômes et signes ne sont pas nécessairement présents, que les formes incomplètes sont très fréquentes, qu’une très grande variété symptomatologique coexiste au sein d’une même famille, que la symptomatologie est variable dans le temps chez une même personne et est à son maximum lors de « crises ».

 

II - À propos de certaines manifestations cliniques et de leurs conséquences thérapeutiques.

1 - Cholécystites et calculs vésiculaires.

Nous avons constaté que les calculs vésiculaires étaient assez fréquents chez les personnes avec un syndrome d’Ehlers-Danlos. La distensibilité et le manque de contractilité de la vésicule biliaire favorisent la stase et donc la constitution de calculs. Nous avons aussi observé quelques complications : cholécystite et perforation de la vésicule (la paroi est fragile). Ceci incite à conseiller systématiquement la recherche des calculs vésiculaires par une échographie et de les enlever s’il y en a, en prévenant le chirurgien de la tendance hémorragique habituelle du syndrome et de la fragilité tissulaire (risque de lâchage des sutures).

2 - Scoliose

La scoliose peut accompagner le syndrome d’Ehlers-Danlos. Elle est relativement fréquente (31% des cas sur 439 personnes) avec une voussure lombaire ou une gibbosité dorsale nettes à l’épreuve du déroulement antérieur du tronc. Sa découverte implique une radiographie du rachis dorsal et lombaire couché avec mesure de l’angle de Cobb et surveillance de la croissance par observation du noyau de Risser, tous les 6 mois. La radiographie systématique en l’absence de rotation clinique du rachis est inutile.

Le diagnostic de « fausse scoliose » par rotation des vertèbres hypermobiles dans le SED sur des clichés pris debout est fréquent et occasionne parfois des ports de corsets inutiles et pénibles et une kinésithérapie inappropriée. Cette dernière ne nous semble pas utile en l’absence de corset.

3 - Les manifestations neurovégétatives à expression cardiovasculaires.

Elles sont fréquentes et souvent très pénibles faisant craindre le pire à l’intéressé et à sa famille. Il n’y a pas de substratum cardiologique. Il s’agit, en fait, d’une dérégulation neuro végétative dont relèvent aussi : les sueurs, les bouffées de chaleur, la frilosité, les poussées thermiques et la sensation d’extrémités froides (pseudo-syndrome de Raynaud). L’utilisation du cardiocalm ou aubépine (3 c. par jour) a pu donner des résultats, certains de nos patients utilisent la manœuvre de Valsalva (souffler fortement dans ses narines en se pinçant le nez et en fermant la bouche). Les Béta bloquants peuvent aussi être utilisés.

4 - Les reflux gastro-oesophagiens.

Ils sont très fréquent (76%) et engendrent des difficultés lors des repas, des irritations laryngées (voix rauque, toux…), bronchiques et peuvent être à l’origine de réveils pénibles s’ils sont nocturnes avec goût de vomi au fond de la gorge au matin. Les antiacides (inhibiteurs de la pompe à protons) se montrent très efficaces à fortes doses (20 à 60 mmg, 2 fois par jour  en continu le plus souvent (Docteur Jean-David Zeitoun). Le plus utilisé est l’Oméprazole. Il peut être employé chez l’enfant de plus de quatre ans.

 

Une triade évocatrice en faveur du syndrome d’Ehlers-Danlos :

Le signe de la porte : heurter souvent l’embrasure ou accrocher la poignée des portes ou des meubles (= trouble proprioceptif)

Le signe de la portière : recevoir une décharge électrique lorsqu’on ouvre, avec la main nue, une portière de voiture, lorsqu’on pousse un caddy ou tourne le tambour d’une machine à laver le linge. Il traduit l’extrême conductibilité du corps du fait de la minceur de la peau.

Le signe de la chaussette : il est présent lorsqu’on met des chaussettes (ou une bouillote) pour dormir dans le but de réchauffer ses pieds glacés. Il révèle le désordre neurovégétatif du syndrome.