Le site du Professeur
Claude Hamonet

 

 Page précédente  Page d’accueil  Biographie  Publications - Communications - Travaux historiques  Actualité Glossaire des termes de l’handicapologie et de la réadaptation  Retour à la liste  Annexes et liens externes  Le Syndrome d’Ehlers-Danlos  Page suivante    Contacter Claude Hamonet

RAISONNEMENT MÉDICAL, PREUVES ET PRESCRIPTIONS MÉDICALES OU
MÉDICO-SOCIALES EN MÉDECINE PHYSIQUE ET DE RÉADAPTATION

Communication présentée à l'Académie nationale de Médecine au groupe de réflexion sur "Evidence based medicine" (médecine basée sur les preuves ou factuelle). 2004.

 

Introduction : naissance de la Médecine Physique et de Réadaptation

La Médecine physique et de réadaptation apparaît comme une médecine bipolaire mal connue et pourtant essentielle dans le contexte actuel de la santé. Elle est issue de la fusion de deux courants :

- L'un utilisant des thérapeutiques manuelles ou instrumentales ayant une action sur les lésions corporelles ("Médecine physique" ou "Physiatry").

- L'autre, dominé par les notions d'éducation (ou ré-éducation) et de promotion de la personne dans son environnement social (adaptation-réadaptation), visant l'autonomie et l'inclusion.

Le premier se structure, à la fin du XIXème siècle, avec l'adoption du mot "kinésithérapie" par les médecins qui la pratiquent. Le terme "massage" sera, lui aussi, très utilisé avec une assez large acceptation du terme au-delà des strictes techniques de massage (1). L'électrothérapie, la balnéothérapie ont une grande place.

Le deuxième est inauguré par un remarquable précurseur : Désir Magloire Bourneville, inspiré par Édouard Séguin (3) qui crée, à Bicêtre et à la Fondation Vallée, la Réadaptation médicale, intégrant dans une démarche continue : l'éducation, la famille, la scolarisation et la formation professionnelle.

Les fondements contemporains datent de l'après guerre 39-45 avec la prise en charge des blessés survivants et des victimes des épidémies de Poliomyélite. C'est à un américain du Missouri, Howard Rusk (.) qu'on doit la création en 1947, en plein Manhattan, à l'Hôpital Bellevue (New York University), du premier Centre de Réadaptation médicale (Rehabilitation Medicine) qui sera le modèle de beaucoup d'autres et, à l'Université de New York, la première " Rehab Chair " du monde. En France, ce sont André Grossiord (Garches) et Denys Leroy (Rennes) qui, au même moment, créent les premiers services de Médecine de rééducation pour les poliomyélitiques. Ainsi étaient institués, un lien entre le médical et le social, un pont entre le technique et l'humain, dont on a tant besoin aujourd'hui.

 

Redéfinition de la santé par l'OMS et émergence du concept de handicap

À la même époque, l'OMS adopte sa charte et une nouvelle définition de la santé, état de "bien-être" et pas seulement absence de maladie ou "d'infirmité". Ce dernier terme sera proscrit et remplacé par celui de handicap (" disabillity " en américain) qui commence à faire son apparition dans les années 1950. Un très gros, très lent, et très nécessaire travail de définition et de taxonomie était entrepris. Il est indispensable pour le raisonnement médical et la réponse aux exigences d'une médecine scientifique de qualité destinée aux personnes handicapées.

 

Essai sur les divers modes de raisonnement en Médecine Physique et Réadaptation.
(Que prescrire, sur quels arguments et comment ?)

A - Le raisonnement physiopathologique (ou l'évidence sans usage de l’"evidence")

Il repose sur l'analyse du mécanisme lésionnel et propose une réponse adaptée. La justification par la preuve n'est pas nécessaire puisque le traitement corrige le désordre physiopathologique et agit directement sur la cause.

La réponse qualitative :

Exemple N° 1 : L'immobilisation facilite la survenue d'une raideur articulaire. La mobilisation articulaire passive va la prévenir.

Exemple N° 2 : Certaines positions, certains mouvements du tronc, favorisent l'apparition de douleurs du dos par contraintes. Une utilisation "biomécaniquement correcte" du tronc les prévient.

Exemple N° 3 : L'insuffisance musculaire du quadriceps entraîne une instabilité par absence ou insuffisance de "verrouillage" du genou. La solution est la prescription d'une orthèse de stabilisation du genou.

Exemple N° 4 : L'inflammation et la douleur sont diminuées sous l'effet du froid. La cryothérapie est donc indiquée dans les tendinites d'insertion.

La réponse quantitative :

Cas n° 1 (raideur articulaire) : une fois par jour au minimum. Si une limitation apparaît, il faut compléter par une posture jusqu'à la récupération complète et son maintien.

Cas N° 2 (le mal de dos) : 24 heures sur 24 !

Cas N° 3 (l'orthèse de genou): en station debout, à la marche.

Cas N° 4 (le froid) : 15 minutes, pour deux raisons :

1) c'est le maximum tolérable,

2) c'est la durée nécessaire pour obtenir une diminution mesurable de la température sous cutanée (étude faite au CHU Henri Mondor à Créteil, à l'occasion d'une thèse de Médecine.)

 

B - La preuve par comparaison de deux échantillons de populations.

1 - Le cas d'échantillons homogènes (c'est rare en MPR) et d'une thérapie monovalente.

Ex. 1 : les femmes enceintes en fin de grossesse et le mal de dos. Ce type d'étude a permis de montrer l'efficacité de la mise en place d'une École du dos.

Ex. 2 : Deux populations d'hypertendus non médicamentés (Docteur J.C.Chignon) :

L'un a une séance de réentraînement à l'effort par semaine, l'autre en a deux. C'est dans ce dernier groupe que l'on obtient les meilleurs résultats sur les chiffres tensionnels.

Ceci prouve l'efficacité de la rééducation à l'effort et oriente sa posologie (deux séances valent mieux qu'une).

Ex. 3 : le rôle préventif du port de l'écharpe de Montréal dans la survenue de l'algodystrophie chez les hémiplégiques. Le tirage au sort se fait dans un service de neurologie où existe un service central de MPR. Le suivi se fait sur la douleur et la raideur de l'épaule. Cette étude n'a pu être terminée à Mondor. Ceci n'empêche pas d'utiliser la dite écharpe dont on a démontré par la radiographie qu'elle réduisait la subluxation de la tête humérale, donc la tension sur la capsule articulaire.

 

2 - Le sujet est pris pour son propre témoin.

Cette méthode est, à priori, particulièrement intéressante en Médecine de Rééducation et d'une façon plus large en réadaptation.

Ex. : On compare deux techniques de renforcement musculaire. Elles sont utilisées alternativement par périodes d'un ou deux mois avec contrôles de l'efficience musculaire à la fin de chaque période.

On peut la croiser avec une étude en double aveugle (c'est rarement possible en MPR).

Ex. : Utilisation d'ondes pulsées dans le traitement des plaies des moignons chez les amputés. Un appareil est "mis en panne ", on alterne appareil "actif" ou "inactif" avec des phases d'arrêt de traitement. C'est l'arrêt du traitement qui est le plus déterminant, quel que soit l'appareil !

 

C - Les études rétrospectives (le sont-elles vraiment ?)

Elles gardent une place importante en MPR (importance du facteur temps pour apprécier l'adaptation à un résultat et son maintien). Le problème est celui du bon critère.

Ex. 1 : Efficacité des Écoles du dos ( sur deux à cinq ans). Le critère choisi est le nombre de jours avec prise de médicaments dans l'année qui précède l'évaluation. Il est préférable au nombre de jours avec arrêt de travail dans une période propice au chômage et à l'instabilité de l'emploi.

Ex. 2 : Efficacité des prothèses myoélectriques chez les amputés du membre supérieur : comparer les aspects fonctionnels (préhension) et situationnels (actes de la vie courante, loisirs, travail) avant et après l'adaptation de la prothèse.

 

D - La preuve "ergonomique", une innovation en médecine (de la physiologie à l'ergonomie en situation) ou la Rééducation-Réadaptation "en situation" (importance de l'Ergothérapie)

Médecine de l'Homme et de son environnement, la MPR justifie ses choix en obéissant parfois à des lois qui sont plus proches de celles des sciences de l'architecture ou de l'ingénieur que de l'efficacité d'un médicament.

La notion de faisabilité en simulation ou en situation réelle apporte au cas par cas une réponse (compensations technique, animale, humaine) que ce soit pour le logement, la ville, le travail ou les loisirs.

Ex. 1 : adapter une cuisine pour une personne polyarthritique (modifications de la forme des objets),

Ex. 2 : adapter un poste de conduite automobile pour un tétraplégique (usage de la commande vocale)

Ex. 3 : adapter un appartement pour une personne aveugle (repères tactiles ou podotactiles).

 

Aspects spécifiques de la MPR pour les critères des choix médicaux et médico-sociaux en Rééducation-Réadaptation 

1 - Nécessité absolue de la participation de la personne rééduquée/réadaptée.

2 - La visibilité et la stigmatisation par l'apparence extérieure : ne pas accentuer la différence par des appareillages trop apparents.

3 - Les risques : ils sont moindre qu'en chirurgie ou en réanimation.

Il sont exceptionnellement vitaux : chute, suicide, collapsus ou poussée d'hyperréflexie autonome (para et tétraplégiques), comitialité, noyade par manque de surveillance en balnéothérapie.

Il sont lésionnels (fractures par effet de bras de levier, lésions des parties molles en post-opératoire, tétraplégie par manipulation cervicale).

Ils sont fonctionnels (désadaptation à la marche chez une personne âgée rééduquée trop tardivement),

Ils sont situationnels (perte d'autonomie par une adaptation inadéquate),

Ils sont subjectifs (perte de confiance en soi par un discours pessimiste sur les capacités de récupération)

Le danger le plus important aujourd'hui est la "perte de chance" du fait d'une rééducation mal faite ou non faite, ce qui reste, malheureusement, le cas le plus usuel.

4 - Les contraintes de soins et abus de prescriptions amputant l'autonomie et entretenant une dépendance inutile vis-à-vis de la thérapie (kinésithérapie ou orthophonie, surtout). Arrêter un traitement est parfois bien difficile !

5 - La réalisation des traitements par des tiers : kinésithérapeutes, ergothérapeutes, orthophonistes, en dehors de la présence du médecin et difficiles à contrôler en pratique. Bon nombre des acteurs paramédicaux ne le souhaitent pas et revendiquent le choix du traitement à appliquer et pas seulement de la façon de l'appliquer. Il est vrai que l'insuffisance des connaissances des méthodes de rééducation par les médecins non spécialistes de la question qui sont majoritairement prescripteurs, n'arrange pas les choses.

Une étude comparative ancienne (années 80) sur la kinésithérapie du mal de dos a montré que le résultat est corrélé avec le kinésithérapeute et non pas avec la méthode choisie ! Il y a aussi un problème de reproductibilité.

6 - La multiplication de méthodes basées sur des raisonnements physiopathologiques douteux (méthode Mézière, mésothérapie, ostéopathie, chiropraxie), peu efficaces (massages réflexes) donc inutiles, ou carrément charlatanesques (Kinésiologie) quand ce n'est pas "sectaire" autour d'un "fondateur-gourou".

7 - Enfin, l'organisation actuelle des soins et du médico-social fait qu'il y a de nombreuses discontinuités dans leur organisation, difficiles à résoudre aujourd'hui devant une segmentation des soins encore aggravée par une tarification à l'acte (T2A). La réponse à la fois éthique par la mise en valeur de la personne et socioéconomique par la création de liens humains constructifs est la réadaptation qui est un processus précoce, lent et continu".

 

Conclusions

Les méthodes utilisées en rééducation-réadaptation ont pour particularités de faire appel constamment aux quatre dimensions de l'être humain  :

Son corps
Ses fonctions
Ses situations de vie
Sa subjectivité

De ce fait, la MPR apparaît comme transversale et "humaniste".

Ses critères de choix s'appuyant sur la clinique, l'ergonomie, "le bon sens" et une Éthique sociale de la Réadaptation des personnes en situation de handicap, ont une valeur tout aussi scientifique que certaines démarches actuelles du tout démontrer (même l'évidence) et l'indémontrable.

On est en droit de se demander si cette "testomania" aride n'est pas, poussée à l'extrême, destructrice pour ce qui caractérise, avant tout, le lien médical : le choix, concerté entre deux personnes, de la solution la meilleure ou la moins mauvaise.

 

Bibliographie

(1) Berne G., "Manuel de Massage", J.B. Baillères et fils, 1914, Paris.
(2)  Paolaggi J.-B., "La place des nouvelles méthodes basées sur l'apport de preuves dans la prise en charge des patients (What place for new evidence-based methods in patient care ?)", Bulletin de l'Académie nationale de médecine, 2004, vol. 188, n° 5,pp. 803-811.
(3) Séguin E., "Traitement moral des idiots et des autres enfants arriérés ou retardés dans leur développement, agités de mouvements involontaires, débiles, muets non-sourds, bègues etc.", J. B. Baillères, 1846, Paris.