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Claude Hamonet

 

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La lombosciatique : mythe ou réalité ?

"Ce n’est pas la vérité qui compte, ce sont les émotions fabriquées par les médias" (Jean-Paul Delevoy, médiateur de la République).

 

Notre pratique quotidienne de médecin rééducateur en milieu hospitalier nous confronte quotidiennement à des patients qui se plaignent de douleurs du dos plus ou moins associées à des irradiations aux membres inférieurs.

Leur entrée en matière est très stéréotypée : « j’ai une hernie discale » (souvent suivent des lettres et des chiffres : L4-l5 ou autre) disent-ils en tendant des deux mains avec respect, comme si les pochettes contenaient leur destin, le scanner ou l’IRM (ou les deux) et de plus en plus souvent un mystérieuse CD.

Ailleurs ils sont moins précis et déclarent « j’ai mal à mes (vertèbres) lombaires ». Beaucoup ajoutent depuis quelques années : « j’ai fait des sciatiques.», « J’ai une cruralgie. ». Ils paraissent un peu soupçonneux lorsqu’on leur répond : « merci posez vos radios, je les verrai plus tard, et dites-moi ce qui vous arrive ».

Ils se reprennent lorsqu’on poursuit : « nous allons jouer au médecin et au malade : vous me dites où et comment vous avez mal, je vous écoute, je vous examine, je vous explique, ensuite je regarde vos radios ». En effet, il y a toujours en face du bureau médical, deux chaises, l’une pour le dos du patient, l’autre pour la pile parfois impressionnante d’examens d’imagerie.

Le premier temps de l’examen commence toujours par ce que Stanislas de Sèze apprenait à ses internes : « demandez leur de vous montrer où ils ont mal ». Le consultant désigne alors d’un doigt hésitant (ce n’est pas toujours facile de localiser une douleur qui est derrière soi), la région pelvienne. C’est la première surprise des nouveaux internes qui viennent dans le service : les "lombalgies" sont très basses.

En fait il s’agit dans la majorité des cas que nous observons de douleurs pelviennes d’origine ligamentaire (pelvi-trochantoriennes) ou musculotendineuses (moyens fessiers, ischio-jambiers) etc.

Où sont donc passées les lombo-sciatiques d’antan que Stanislas de Sèze a décrit dans sa publication princeps de la Presse médicale, en 1940 ?

Le mécanisme de la compression d’une racine rachidienne par une saillie gélatineuse faisant hernie à travers une fissure de l’anneau fibreux qui maintient l’articulation intersomatique vertébrale, a eu un grand succès médical et médiatique. Elle est représentée dans tous les ouvrages de rhumatologie, de kinésithérapie et est reprise par les ostéothérapeutes et leurs équivalents. Elle frappe fortement l’imaginaire des patients qui voient là une explication simple donc cohérente aux douleurs extrêmement violentes et aux « blocages du dos » perçus également comme des "déplacements" dont ils souffrent. Ils sont confortés dans cette idée par les radiographies renforcées par les scanner et IRM lombaires qui objectivent des aspects plus ou moins affaissés, plus ou moins bombés des fameux disques qui sont en fait d’une extrême banalité et touchant la grande majorité de la population, à partir de l’âge adulte, qu’elle souffre ou non de maux de dos.

Le médecin et le patient sont persuadés de tenir le coupable et pratiquent un raccourci sémiologique sommaire : douleur du dos + douleur dans un membre inférieur + diminution de hauteur d’un disque = lombosciatique par hernie discale.

Ces considérations aboutissent à une situation de « monodiagnostic » ou d’un diagnostic véritable « prêt à porter » pour tous, qui ne fait que se renforcer dans l’esprit du patient puisque tout autour de lui chacun raconte la même histoire des tribulations de « sa hernie ».

Et pourtant, Frymoyer a montré que seuls 1% des personnes avec un mal de dos avait une sciatique.

Alain Chevrot, anatomiste et imagiste, a eu l’audace de s’attaquer au mythe en intitulant un de ses articles « la hernie discale n’existe pas ». Il a pu montrer que les images observées étaient des bulles d’odème qu’il était plus simple de faire "fondre" par un traitement corticoïde avec immobilisation rachidienne segmentaire plutôt que d’utiliser un bistouri. Ceci relativise tout à fait le rôle de la chirurgie du disque intervertébral.

Mais alors pourquoi a-t-on si mal ?

Pour répondre, il faut élargir la notion de mal de dos et l’étendre du rebord supérieur des épaules aux plis des fesses. De cette façon, sont incluses les zones ligamentaires et d’insertions musculaires pelviennes qui représentent une localisation très fréquente. Leur sémiologie peut se rapprocher lors d’un interrogatoire trop superficiel, de celle d’une sciatique. Cependant, cette apparence ne résiste pas à un examen clinique précis :

- pas de décharge électrique avec douleurs sur le territoire cutané d’une racine du sciatique lors de la manouvre de Lasègue qui peut cependant être pénible pour le patient en cas de rétractions des muscles ischio-jambiers (ce qui est très fréquent) et réveiller les douleurs des ligaments pelviens ;
- aucun signe sémiologique déficitaire cutané, moteur, ou réflexe ;
- et, surtout, la mise en évidence de douleurs à la pression de certains ligaments pelviens superficiels, souvent localisées en parasacré ou au niveau des insertions rétro trochantériennes des muscles rotateurs de la hanche mais aussi de l’insertion trochantérienne du moyen fessier ou sur le trajet du tenseur du fascia lata.

Point n’est besoin d’imagerie, le diagnostic est fait, il sera confirmé par une injection d’un anesthésique local in situ ("loco dolenti"), si on obtient aussitôt la disparition des douleurs alléguées par le patient ainsi que son cortège de limitations fonctionnelles.

Il convient donc de réviser totalement l’approche du mal de dos et d’adopter un discours plus positif en tant que médecins. L’effet des annonces des cliniciens et des comptes rendus radiologiques sont à l’origine d’une véritable iatrogénie qui est peut-être la cause principale du fait qu’une lésion bénigne a des conséquences aussi graves que d’être, avant 45 ans, la première cause d’exclusion du travail, Surtout mieux vaut soigner en restaurant toute sa valeur à l’examen clinique plutôt qu’en répétant un discours stéréotypé dont le contenu est aujourd’hui battu en brèche. Après avoir soigné la cause, il faut savoir prévenir les récidives. C’est faisable à travers l’éducation au bon usage du dos et l’usage d’une ceinture lombopelvienne qui protège le dos et renforce l’action des muscles qui le mobilisent ou le stabilisent.

(À paraître dans le quotidien du médecin).