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Claude Hamonet

 

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À propos du langage des médecins et de leur
communication avec les patients et leurs proches

« Aucune guérison n’est complète, si une relation par la parole ne s’installe pas pendant les soins et après entre le malade, ses proches et le médecin. » (Édouard Zarifian, Les jardiniers de la folie).
« C’est le médecin qui recherche le moins le sens des mots santé et maladie. » (Jaspers, cité par Canguilhem, Le normal et le pathologique).

 

Introduction

Un bon nombre de nos patients nous confient : « quand je sors du bureau du médecin, je suis moins bien que lorsque j’y suis entré ». Il faut dire que dans la nouvelle formulation des études médicales, figure « comment annoncer une mauvaise nouvelle ? » Comment peut-on en arriver là ? Le médecin est, par essence même, celui ou celle à qui l’on peut se confier et en qui on peut avoir confiance, celui qui rassure des fausses peurs, celui à qui on peut confier, sans honte et sans culpabilité, l’intime de soi même, celui de qui on attend écoute, compréhension et même compassion, celui dont on sait qu’il ne vous abandonnera pas et ne vous dira jamais : « il n’y a rien à faire », conscient qu’il reste toujours à vivre même si le temps est raccourci par la maladie, même si la vie n’est plus la même et semée des embûches que sont les situations de handicap.

Il faut dire que les médecins sont précisément « handicapés » par leur formation ou, plutôt, leur transformation en « homo medicus », à travers leurs études médicales centrées sur la maladie, avec un uniforme (la blouse blanche) dont le port est un véritable « rite d’appartenance », ses lieux de culte (l’hôpital, le « lit du malade », sorte d’autel du sacrifices), les « staffs » et présentations de dossiers où chacun a un rôle concélèbre (une sorte d’office sacré en hommage à la Médecine), selon son rang hiérarchique déterminé par le niveau de ses connaissances et le grade acquis par ses connaissances, les visites de l’assistant ou du « patron », les gardes avec leur lot de stress comme autant d’épreuves initiatiques à surmonter (dont celle de la mort devant soi) pour être digne d’être accepté dans le corps des « docteurs ».

C’est là que l’on apprend à parler « autrement » c’est-à-dire une langue incompréhensible des non-médecins, une langue avec ses néologismes scientifiques empruntés au grec et au latin mais aussi avec des expressions imagées empruntées à la vie quotidienne propres à aiguiser le sens de l’observation et à imprimer des images « évocatrices » dans la mémoire du futur médicastre : « signe de la sonnette » des sciatiques, « signe du tabouret » des dystrophies musculaires. Il apparaît comme un langage mystérieux, fait d’un mélange de mots « savants » difficiles à entendre ou de noms propres codés, de néologismes ignorés du dictionnaire, de jargon (fait initialement pour ne pas être compris du malade) et d’emprunts à d’autres langues, l’anglais essentiellement.

Mais, le plus remarquable c’est que tout ce vocabulaire désigne et spécifie une réalité qui est tout en négatif. Les éléments du « diagnostic positif » sont tous négatifs pour le malade, c’est-à-dire qu’il s’agit de pertes, de manques ou de dysfonctionnements. En effet, « malade est un concept général de non-valeur qui comprend toutes les valeurs négatives possibles » (Jaspers, cité par Canguilhem, Le normal et le pathologique). On comprend mieux que le langage du médecin inquiète le patient mais aussi la difficulté pour le médecin de s’en défaire et de s’exprimer autrement. Et, pourtant, c’est ce que l’on attend de lui.

 

Les liens épistémologiques entre la botanique et la médecine

Il y a une explication historique à cette organisation de la Médecine en Science des maladies plutôt que de la « santé » : les médecins classificateurs du 18ème siècle étaient tous botanistes. Le dispositif initialement adopté pour classer les maladies qui peut être considéré comme l’origine du raisonnement scientifique médical a été reproduit et enrichi jusqu’à la classification internationale des maladies en passant par les classifications de Pinel comme je l’ai démontré en 1993 dans ma thèse d’anthropologie sociale où je désirais articuler les notions de handicap et de maladie. Le document fondateur étant la Nosologie méthodique, (selon l’ordre des botanistes) de François Boissier de Sauvages (1771), directeur du jardin royal de Montpellier. On y regroupe les maladies en classes, genres et espèces dans les tables (ou tableaux) de Boissier, comme on classe les plantes. Ce dispositif permet, à partir de l’orientation par un symptôme d’identifier la classe, puis le genre et, enfin, l’espèce (ou forme clinique). C’est très efficace pour arriver au diagnostic et nous devons à ce dispositif l’expression du « tableau clinique », bien étrange pour le néophyte en médecine. J’avais alors montré la similitude du principe d’identification entre le document de Boissier et la « Classification internationale des maladies » de l’OMS.

Depuis, j’ai découvert, au hasard des bouquinistes, une classification des maladies faîte par Linné qui semble être passée aux oubliettes des médecins et qui mérite une étude spécifique. Ces données historiques me semblent utiles pour comprendre les comportements médicaux actuels, induits par la culture des maladies inoculée dans les facultés de médecine et les services hospitaliers. Ceci aboutit à cette scène hallucinante des « hommes en blanc » d’André Soubiran montrant l’interne (Raymond Pellegrin) revenant de garde par le métro et regardant d’un oeil « cliniquement » suspicieux les passagers, trouvant une anémie à celui là, le teint cireux d’un cirrhotique à tel autre, etc. Imprégné par ses connaissances de la maladie, le médecin oublie les éléments positifs de la bonne santé et « de bon sens ». Ceci est parfaitement explicité par la célèbre formule du « Dr Knock » de Jules Romain : « tout bien portant est un malade qui s’ignore ».

Un autre facteur joue parfois, celui de montrer au patient que l’on sait mettre les mots « justes » (médicalement) sur les symptômes et, par là même, vouloir en imposer à son interlocuteur à l’instar du célèbre docteur Diafoirus de Molière. Cet exercice est devenu complexe, voire périlleux, avec des patients qui ont consulté internet avant de consulter leur médecin et s’essayent, de leur coté, à parler « le médical » (« ce sont mes cervicales, mes lombaires, j’ai une sciatique ») ou brandissant, ce qui est pour eux, le sommet de la technologie « j’ai une IRM ».

Plusieurs d’entre eux font leur diagnostic grâce à Google en inscrivant en mots clés leurs symptômes et en voyant, en 0,3 secondes un diagnostic s’inscrire sous la forme d’un texte publié sur un site ou retrouvé dans un blog. J’ai observé, en écoutant les récits de mes patients, que bien souvent le médecin est mal à l’aise vis-à-vis ce nouveau venu dans le dialogue médecin-patient. Et pourtant, bien utilisé, Internet peut être un lien supplémentaire pour mieux se comprendre ou se faire comprendre.

 

À propos de la séméiologie et du raisonnement en médecine

Le jugement des sémioticiens comme Barthes sur la séméiologie (science des signes) est très sévère. Barthes, le sémioticien, dit qu’il ne comprend rien à la lecture des traités de sémiotique (devenue séméiologie) médicale à cause des terminologies qui lui sont étrangères mais aussi parce qu’il n’y a pas de sémiotique dans ces ouvrages. Il est vrai que, dans le vocabulaire médical, on confond souvent symptômes et signes (la distinction signes physiques, signes fonctionnels, signes généraux n’est pas opérationnelle car confuse et ambiguë), alors que le symptôme est ce dont se plaint le patient. Il ne devient un signe que par le sens, la signification, que lui donne le médecin avec l’aide du patient et de l’entourage. Ceci nous apprend que le diagnostic est autant l’affaire du patient que du médecin et qu’il se fait « à deux » et même à trois avec les proches. C’est ainsi que l’on construit une démarche positive faite de confiance mutuelle et de responsabilité entre le médecin et « le » (et non pas « son ») patient. On y introduit aussi davantage une sémiologie « situationnelle » qui fait référence au cadre de vie et fait le pont avec l’approche sociale et sociétale.

« Ecoutez votre malade il vous fera le diagnostic ». Cette phrase d’Osler est aujourd’hui, plus encore, d’actualité. Un mot du patient vaut, bien souvent plus pour le diagnostic qu’une image dont l’interprétation, dans le contexte clinique, n’est pas évidente. Le médecin, d’une manière générale ne fait pas assez confiance au patient qui le consulte, alors que sa collaboration est essentielle pour aboutir au diagnostic. Le pessimiste soupçonneux de l’homme en blanc est parfois induit par le contexte médico-juridique actuel. La mise en évidence du lien de causalité, passage incontournable, étant souvent en enquête de style policier, évoquant davantage la mise en examen que l’examen clinique et transforme la victime en coupable de tromperie potentiel. Et pourtant, en tant qu’expert, je n’ai jamais rencontré de simulateur mais des personnes qui exprimaient, avec la volonté de convaincre, différemment leurs souffrances. Surtout, elles voulaient être écoutées.

D’un côté la loi de 2002 sur le Droit des patients contraint le médecin à informer le malade, c’est-à-dire à évoquer les évolutions possibles (mauvaises surtout) après le diagnostic. Ceci aboutit à des annonces souvent très mal perçues par des personnes fragilisées et éveille bien des fantasmes qui ne sont pas toujours exprimés au médecin par timidité ou par peur du ridicule. Sans éluder les risques encourus, il y a cependant une façon appropriée à chaque cas non pas seulement de prévenir mais de commenter le futur en équilibrant les aspects positifs et les complications éventuelles. Internet joue ici souvent un très mauvais rôle et met en avant les aspects les plus sévères si ce n’est pas les plus sensationnels comme il apparaît dans les publications médicales d’une façon générale. Là aussi, la pondération du médecin qui ne doit pas hésiter à regarder, lui aussi, Internet, pour savoir ce que ses patients lisent est essentielle. Naguère, bien avant Internet, une revue médicale publiait une rubrique « ce que vos patients lisent » à propos des articles sur la santé rédigés par des revues grand public.

 

Les mots à ne pas dire

Le sens médical et le sens populaire diffèrent sémantiquement pour certains mots simples qui deviennent péjoratifs. C’est le cas de « chronique » qui remplace dans l’esprit de la population (mais parfois aussi malheureusement souvent celui des médecins) le terme d’incurabilité.

C’est aussi le cas le cas de « dégénératif » qui s’oppose à inflammatoire en rhumatologie et indique une évolution vers l’aggravation en neurologie. Il est perçu comme très dévalorisant, chargé de représentations négatives de soi même, mélange de souillure et de mort partielle. C’est ainsi qu’un radiologue qui inscrit dans son compte rendu « dégénérescence discale » surtout si elle est « étagée » induit l’idée d’un rachis peu fiable vécu comme « vermoulu » et prémisse à tous les dangers, d’autant plus que le processus est imaginé comme étant évolutif.

 

Conclusion

Il y a beaucoup à changer dans le dialogue patient-médecin-proches-société. La « scientifisation » croissante de la médecine, à la remorque de l’évolution exponentielle des technologies de biomédecine et d’instrumentalisation du corps humain, relègue à la portion congrue et, parfois, élimine cette part essentielle de l’échange entre le médecin et le patient : l’écoute de ce dernier et l’examen clinique attentif et respectueux de son corps. Le raisonnement médical occulte très souvent l’étape clinique et se « défausse » sur les examens dits « complémentaires », s’accrochant trop souvent à une image radiologique ou à une modification biologique discutable.

La conviction des médecins est de plus en plus qu’un diagnostic n’est pas accompli sans la confirmation biologique ou d’imagerie. Parmi les dimensions de « l’homme malade » et non pas de « l’homo medicus », on distingue : la lésion (le corps, anatomique et physiologique), les fonctions humaines qui lui donnent l’autonomie, les situations de la vie qu’il rencontre qui peuvent être handicapantes et sa subjectivité, c’est-à-dire le point de vue de la personne sur son état ; les deux dernières (situations de handicap et subjectivité) sont très souvent oubliées dans la démarche du médecin.

La subjectivité, entre autre, est essentielle. L’’imaginaire, les peurs, les représentations de la maladie, liées à la personnalité, à l’éducation et à la culture vont avoir une part essentielle dans le fonctionnement du tandem médecin-patient et doivent être prises en considération avec respect, même si elles paraissent extravagantes. C’était le cas de ce médecin victime d’un traumatisme de l’épaule, compliqué d’une pseudarthrose de l’humérus et d’une paralysie du deltoïde qui m’a posé cette question inattendue alors que je l’examinais : « Dis-moi, tu es sûr que ce n’est pas un cancer ? »

Être médecin et être malade sont deux statuts différents et quand on change de rôle, on ne peut pas imaginer qui l’on sera. En fait, c’est à travers les facultés de médecine avec leurs liens hospitaliers qu’un renversement profond des tendances comportementales des médecins doit être fait dans l’humilité (on peut se tromper il faut bien le savoir). Il faut se souvenir que le médecin est soumis, lui aussi, à la souffrance : celle dont il porte le fardeau avec son patient et aussi, celle de son impuissance quand il ne peut soulager ou guérir ; mais il ne doit pas fuir ou abandonner celui qui lui a fait confiance.

 

Article paru dans la revue canadienne Aporia - La revue en sciences infirmières, Volume 2, numéro 1, janvier 2010 (archives disponibles au format PDF).