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Claude Hamonet

 

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Pour une humanisation de l’expertise médico-légale

Professeur Claude Hamonet, médecin spécialiste de Médecine Physique et de Réadaptation, Docteur en Anthropologie sociale, Médecin expert près la Cour d’appel de Paris, ex expert agréé par la cour de Cassation, ex expert en Réadaptation et du programme mondial de prévention de la violence à l’OMS, médecin consultant à l’Hôtel-Dieu de Paris (service du Docteur J.-Y. Maigne).

 

Introduction

L’expertise médicale reste la clé de voûte du processus de réparation du Dommage Corporel.

Elle devrait apporter compréhension et espoir d’une reconstruction d’une nouvelle vie après l’épreuve.

En terme d’anthropologie elle reproduit tous les ingrédients du rite de passage d’un état à l’autre : celui de la victime souvent brisée dans la course de la vie par un évènement vécu comme injuste et dégradant, vers la poursuite d’une vie nouvelle avec les moyens de la compensation par la réparation. Un point essentiel dans ce processus, pour elle, est d’être reconnue comme telle pour faire reconnaître ses droits fondamentaux à être adaptée à un nouveau rôle social.

Cela implique que l’expert et les autres acteurs de la réparation ne considèrent pas seulement le corps qui a subi des dommages, mais l’être humain qui a subi des préjudices. Plutôt que de dommages corporels, mieux vaudrait parler "de dommages faits la personne".

Dans cette optique, l’approche conceptuelle du handicap avec ses dimensions exprimant les quatre dimensions de la personne, corporelle, fonctionnelle, situationnelle et de sa subjectivité, apparaît comme la méthode privilégiée pour une approche de l’expertise des victimes plus complète, apportant la nécessaire dimension médico sociale nécessaire à une bonne évaluation des besoins de la personne, plus juste, mieux compréhensible par tous et plus humaine et plus proche du vécu de la victime.

 

La réalité de l’expertise vue du coté de la victime est souvent bien différente.

            L’expertise est vécue douloureusement par la victime qui comprend mal la procédure, qui se sent faible face aux assureurs et aux juges, qui ne se sent pas toujours suffisamment accompagnée par son avocat, qui n’est pas ou peu écoutée, qui est écartée de la discussion et de la décision entre médecins ou entre médecins et avocats, qui se sent « soupçonnée » de fausses déclarations par certains experts qui se comportent parfois en inquisiteurs plutôt qu’en médecins, qui a une sensation de « froideur » et d’indifférence de la part de l’appareil judiciaire, (Toutes notions bien soulignées par le Professeur Yvonne Lambert-Faivre dans son remarquable ouvrage : la réparation du dommage corporel), qui se perçoit comme « chosifiée » et donc humiliée, l’apparence du corps étant mesurée au centimètre près (cicatrices, diamètres des membres), son rendement apprécié en pourcentages à l’instar d’une machine (Georges Canguilhem, le normal et le pathologique), ses réactions intimes à la douleur (au niveau de la souffrance comme l’écrit avec justesse David Le Breton dans anthropologie de la douleur), sont classées selon une échelle qui utilise symboliquement le chiffre 7 (à l’instar des 7 jours de la semaine et des 7 dormants d’Ephèse) selon une alchimie qui relève plutôt de la subjectivité « objective » des évaluateurs (nombre d’interventions chirurgicales, par exemple), que du vécu réel de la personne concernée.

On conçoit alors le désarroi, quand ce n’est pas la frustration et le sentiment d’injuste incompréhension que ressentent certaines victimes qui vont jusqu’à se percevoir comme doublement victime : d’une violence d’abord, de l’expertise ensuite, elle-même vécue comme une forme de violence sociale.

Etre expertisé ne doit plus être vécu comme une épreuve ou un examen d’entrée dans la réparation à subir sans y être préparé mais comme une délivrance d’un fait traumatisant pour le corps, pour la personne et pour son entourage affectif et social. Une certaine dose de compassion et de chaleur humaine n’est pas à exclure face à une personne qui est en recherche de chaleur humaine et de compréhension comme dans tout acte médical.

Se pose alors la question du comportement de l’expert qui oublie parfois qu’il est médecin et a pu se laisser aller à admonester la personne expertisée, l’empêchant de s’exprimer, par un virulent « taisez vous, c’est moi l’expert ».

Enfin, le vocabulaire codé et négatif utilisé par les médecins présents, est trop souvent incompris ou mal compris des non médecins, déroutant la victime et mettant mal à l’aise avocats et magistrats.

 

Pour une méthodologie de l’expertise à visage humain

1 - l’expertise médicale, un des derniers bastions de la médecine clinique

Par médecine clinique nous entendons celle qui se pratique avec les oreilles (écoute du patient, auscultation, mesures corporelles) avec ses yeux (inspection), avec ses mains et le toucher (palpation, percussion). Elle est la base même de la science médicale et du raisonnement médical. Les autres apports (naguère « complémentaires ») sont devenus souvent trop envahissants et obscurcissant le « tableau clinique » au lieu de l’éclairer comme ce devrait être.
Cette démarche clinique se fait toujours à deux : le patient (ou la victime) et le médecin, qui se partagent la responsabilité du diagnostic et des conduites à tenir.

Pour créer, dans le cadre de l’expertise, les conditions d’une bonne pratique de la médecine, il faut donc disposer d’une méthode qui instaure (évaluation « quadridimensionnelle » de la personne) le système d’identification et de mesure du handicap (SIMH) avec son outil d’application le handitest (voir le site dédié à cet outil).

2 - Proposition d’une évolution méthodologique de l’expertise à propos de certains aspects de la démarche expertale.

L’accueil. La courtoisie souriante est de rigueur avec présentation des participants, explication du mécanisme de l’expertise et du fonctionnement du principe du contradictoire. Il est important de mettre à l’aise la victime, de lui de rappeler que toutes les personnes présentes sont là pour l’écouter et la comprendre et qu’elle est le personnage central de l’expertise. Le lieu de l’expertise doit être aussi accessible et accueillant et la réalisation de l’expertise au domicile est impérieuse lorsque l’on a affaire à des personnes lourdement en situation de handicap.

La participation des avocats. Elle est, pensons-nous, importante tout au long de l’expertise y compris au moment de l’examen clinique, sauf si la victime ou ses tuteurs légaux le refusent. Les avocats doivent entendre tout ce que se disent les médecins, Ils doivent être imprégnés des réalités cliniques de leur client pour mieux les comprendre et les transposer dans leur plaidoirie.

La participation de la victime : elle doit être permanente, ainsi que celle de ses proches (particulièrement s’il s’agit d’une personne avec une lésion cérébrale qui peut modifier la mémoire et la perception des faits). C’est-à-dire que la victime ou ses proches doivent être présents à la discussion finale qui clôt l’expertise.

L’évaluation proprement dite. Nous proposons d’appliquer la méthode du handitest avec ses quatre dimensions :

A - Le corps
Ce niveau comporte tous les aspects biologiques du corps humain, avec ses particularités morphologiques, anatomiques, histologiques, physiologiques, et génétiques.

B - Les capacités ou fonctions humaines (celles de l’Homo sapiens sapiens universel)
Ce niveau comporte les fonctions physiques et mentales (actuelles ou potentielles) de l’être humain, compte tenu de son âge et de son sexe, indépendamment de l’environnement où il se trouve. Ce sont les maintiens (debout, assis…) et déplacements (marche), la préhension, la communication, l’adaptation à l’effort, la cognition, l’affectivité, le contrôle des urines, les fonctions sexuelles etc.

C - Les situations de la vie
Ce niveau comporte la confrontation (concrète ou non) entre une personne et la réalité d’un environnement physique, social et culturel.

Les situations rencontrées sont : les actes de la vie courante, familiale, de loisirs, d’éducation, de travail et de toutes les activités de la vie, y compris les activités bénévoles, de solidarité et de culte, dans le cadre de la participation sociale.

D - La subjectivité
Ce niveau comporte le point de vue de la personne, incluant son histoire personnelle, sur son état de santé et son statut social.

Il concerne tous les éléments subjectifs qui viennent compromettre ou supprimer l’équilibre de vie de la personne. Il représente le vécu émotionnel des événements traumatisants (circonstances d’apparition et d’évolution, annonce et prise de conscience de la réalité des faits et acceptation de vivre avec sa nouvelle condition).
Nous commençons l’évaluation par le chapitre des fonctions humaines ce qui constitue une excellente entrée en matière au cœur du sujet pour mieux connaître l’état de la victime sans passer par le cérémonial de l’examen clinique toujours stressant si ce n’est humiliant surtout quand il se passe en présence de tiers. Nous poursuivons par l’analyse situationnelle et l’exploration de la subjectivité pour terminer par l’examen clinique et des documents radiologiques. Cette exploration du corps à proprement parler est alors "ciblée" du fait des informations recueillies précédemment et prend toute sa cohérence.

L’outil handitest permet une quantification de 0 à 4 basée sur le dépendance ce qui permet, au fur et à mesure de l’évaluation de mettre en face des besoins les réponses en termes d’aides techniques fonctionnelles (fonctionnelles : fauteuil adapté, appareillage, médications, situationnelles : voiture adaptée, toilettes adaptées…) et d’aides humaines (fonctionnelles : sondages urinaires, situationnelles : aides ménagères, auxiliaire de vie…).

Handitest a été complété par un avocat docteur en médecine, maître Dimitri Philopoulos, par un dispositif astucieux de quadrant horaire de jour et de nuit divisé quart d’heure par quart d’heure avec indication du type d’aide humaine nécessaire. Le dispositif étant séparément rempli par la victime et sa famille et par l’expert.

Le rapport final sera enrichi d’une série de fiches techniques (soins, aides techniques fonctionnelles ou situationnelles), aides humaines principalement situationnelles) qui sont autant de prescriptions médico-fonctionnelles et médico-sociales.

 

Conclusions provisoires

Il est très important de faire évoluer la pratique expertale dans le contexte sociologique de notre époque et d’en faire un instrument efficace de réadaptation physique, psychique et sociale qui s’inscrit parfaitement dans le courant de la prise en compte des besoins des personnes en situation de handicap à travers la loi du 11 février 2005 qui est dominée par la notion de compensation et de non discrimination. Ceci rejoint parfaitement le concept de réparation et donne un sens aux investissements économiques qu’il génère. Ceci conduit à associer le payeur dans une nouvelle façon de faire et d’accompagner la réparation (par exemple en prenant en charge une formation professionnelle) peut-être faut-il proposer des choix à la victime et la laisser décider de son avenir plutôt que de lui imposer des solutions.

On voit donc que les idées nouvelles sur le la notion de situation de handicap apportent une façon nouvelle pour les magistrats, les avocats les assureurs et la victime de considérer la façon d’être « réparé ». Pour que ceci soit effectif, il est primordial que les médecins évoluent et passent du corporel au situationnel (social) dans leur façon d’évaluer et de commenter leurs observations et prennent en compte la subjectivité de la victime sans la soupçonner de majoration de ses plaintes. Il n’est ni un arbitre ni un juge, il doit rester dans son rôle de médecin attentif aux souffrances précis dans ses analyses et suffisamment ingénieux pour proposer des solutions dans le cadre juridique qui lui est imparti. A ce propos un certain nombre d’évolutions apparaissent dans les missions qui par leurs précisions ne doivent cependant pas effrayer l’expert : la dernière que nous avons reçue fait huit pages avec les commentaires ou mode d’emploi.

 

Bibliographie

Canguilhem G., Le normal et le pathologique, Presses universitaires de France, 1966, Paris.
Hamonet Cl., Magalhaes T., Système d’identification du handicap (SIMH), Eska, 2001, Paris.
Hamonet Cl., Les personnes handicapées, PUF, 2006, Paris.
Hamonet Cl., Les mots pour le dire, les idées pour agir, Connaissances et savoirs, 2005, Paris.
Lambert-Faivre Y., La réparation du Dommage corporel, Dalloz, 2005, Paris.
Le Breton D., Anthropologie de la douleur, Métaillé, 1995, Paris.
Philopoulos D., Hamonet Cl., "Méthodologie de l’estimation du besoin en tierce personne en pratique médico-légale", Gazette du palais, 126ème année, 2006, N° 193-194, pp. 16-22.