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Claude Hamonet

 

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Épaule instable et syndromes d’Ehlers-Danlos

(Communication faite aux Entretiens de Médecine physique et de réadaptation de Montpellier,
mars 2007, publiée aux éditions Masson Elsevier dans le volume "épaules instables"
des actes des journées sous la direction du Professeur Hérisson)

Cl. Hamonet*, A. Petibon*, A. Kponton-Akpabie*, R. Laouar*, P. Mazaltarine*, C. Joseph**, P. Menzel*, S. Tamain***, P. Larrive*.

  * Centre de référence national des maladies du tissu élastique cutanéo-articulaire, Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU Henri Mondor, 94010 Créteil.
 ** Faculté d’Odontologie Paris 5 et Centre dentaire, Hôpital Albert Chenevier, 740 rue du Mesly, 94010 Créteil.
*** Agence française pour la formation professionnelle des adultes, 75012 Paris.

 

Introduction

Le syndrome d’Ehlers-Danlos est un diagnostic à évoquer systématiquement devant une épaule très mobile avec ou sans luxation récidivante. Méconnu et mal connu, son diagnostic est malheureusement trop tardif, ce qui expose ceux et celles (il s’agit surtout de femmes) qui en sont atteints à bien des avatars. L’histoire clinique suivante en est l’illustration.

 

L’institutrice (Professeure des écoles) à l’épaule fragile

Melle P. a 21 ans lorsqu’elle consulte pour la première fois, le 22/11/1997, dans notre service de Médecine Physique et de Réadaptation. Le diagnostic de syndrome d’Ehlers-Danlos (SED) est déjà connu : il a été posé par un pédiatre alors qu’elle avait 10 ans devant la survenue d’entorses multiples des genoux et des chevilles et la découverte d’une hypermobilité diffuse. Elle a 16 ans lorsque que surviennent les premières luxations de l’épaule droite. Malgré la connaissance du SED, les chirurgiens du CHU parisien qui l’accueillent l’opèrent (capsulomyoraphie). C’est un échec. Ceci ne les décourage pas et la même équipe va la réopérer quatre autres fois. Parallèlement, les chirurgiens orthopédistes s’occuperont du genou gauche (transposition de la tubérosité tibiale pour corriger une rotule trop mobile), de la cheville droite, puis de la gauche (ligamentoplasties). Tout ceci n’empêche pas la répétition des subluxations. Elle bénéficie des traitements que nous proposions à l’époque : matelas anti-escarre, orthèses de repos pour les mains, orthèses plantaires de soutien, contentions élastiques des genoux et de la région lombo-pelvienne, stimulations antidouleurs par le TENS, conseils d’ergothérapie pour l’écriture en particulier, renforcement isométrique des ceintures musculaires. N’écoutant pas les conseils de son médecin qui lui conseille d’abandonner le métier qu’elle aime : enseigner, elle réussit le concours de l’Institut universitaire de formation des maîtres et se met à enseigner avec un grand plaisir. Cinq ans après, elle revient nous consulter. Elle a suivi les consignes thérapeutiques que nous avions conseillées et a pu trouver une situation de moindres handicaps et d’équilibre entre ses manifestations fonctionnelles et des situations de vie. Cependant, droitière, elle a de grandes difficultés à écrire au tableau. Elle bénéficie des nouveaux apports thérapeutiques que nous avons mis en place depuis ses premières consultations chez nous ; des contentions élastiques très souples et acceptables par des peaux fragiles, mises en place par la Société Thuasne en lien à, notre demande dans le cas d’une recherche appliquée. Il s’agit de gilets, de pantalons type "corsaires", de chevillières, de mitaines. Elle n’a pas encore ces vêtements lorsque se déclanche ce que nous observons fréquemment dans ces syndromes, une "crise". Les douleurs augmentent de façon diffuse mais surtout l’épaule droite se luxe de façon répétée (10 fois dans une journée) et la nuit chaque fois qu’elle bouge dans son lit. Elle est tellement épuisée et désespérée qu’elle est prête à se faire réopérer. Pour accompagner sa demande, le dossier est d’ailleurs présenté au staff d’orthopédie du CHU Henri Mondor où il est récusé. Mais que faire ? Mademoiselle P. accepte les contentions et se rend même à Saint-Étienne, lieu de fabrication pour rencontrer la personne qui en est chargée et connaît parfaitement le SED. Le port de ce gilet de contention avec une épaulière d’un type spécifique, fait sur mesure, réduit de façon très importante le nombre des luxations mais la nuit, même avec le gilet, elles persistent. La question chirurgicale est en suspend : une butée pourrait-elle être utile combinée au port du gilet ?

 

Le syndrome d’Ehlers-Danlos, un syndrome mal connu et mal-aimé de la médecine

Quand on demande à un médecin s’il connaît le Syndrome d’Ehlers-Danlos, le plus souvent il se fait répéter cette dénomination "danoiso-française" qu’il ne comprend pas du fait de sa consonance insolite en langue française (non ce n’est pas un syndrome dans lequel il y a "de l’air dans l’os" !). Parfois il dit "ah oui l’hypermobilité des contorsionnistes"! Considérant cette entité comme une curiosité médicale sans grandes conséquences fonctionnelles alors qu’il peut être lourdement handicapant.

Cette présomption de bénignité est profondément ancrée dans les croyances médicales qui ont cours aujourd’hui. Quand on écoute ceux qui en sont atteints et le récit qu’ils font des douleurs souvent intolérables, mal soulagées par les antalgiques les plus puissants, on mesure le fossé qui sépare la perception médicale du syndrome et la dure réalité que vivent, au quotidien, les patients mal entendus victimes de thérapeutiques et de comportements médicaux inappropriés qui les aggravent : kinésithérapies agressives, chirurgie orthopédique ou digestive inutiles, manipulations ostéopathiques dévastatrices avec lésions des artères vertébrales, sans oublier les accusations injustifiées et stigmatisantes de simulation ou de désordres mentaux. La situation est rendue plus sévère encore par le fait que la sacro-sainte imagerie est muette et, pire, que la biologie n’est d’aucun secours. Pour les mêmes raisons, la non reconnaissance sociale du syndrome (Assurance maladie, Maisons du handicap) a des conséquences humaines et financières lourdes pour les personnes concernées.

Le diagnostic repose sur un bon interrogatoire et un examen clinique rigoureux. C’est dire l’intérêt et l’urgence de redéfinir ce que recouvre la réalité clinique initialement décrite par deux dermatologues à la Société française de dermatologie à Paris (1900 & 1908) de ce syndrome d’origine génétique qui fait partie aujourd’hui des maladies rares (1/5000 à 1/10000 naissances selon les estimations actuelles qui négligent probablement beaucoup de formes atténuées non diagnostiquées) et donc doublement "orphelines."

 

Actualisation de la description du SED

Depuis une quinzaine d’années, nous sommes confrontés dans notre service de MPR avec ce syndrome, du fait de nos liens avec les équipes de généticiens de L’Hôpital Pompidou et de l’Hôpital Necker, ainsi que l’Association française du syndrome d’Ehlers-Danlos ce qui nous a permis de suivre un nombre important de personnes concernées (170); De plus le Net fait que certaines personnes font leur diagnostic elles-mêmes et nous repèrent comme étant engagé dans cette démarche d’identification et de traitement. Nous faisons aussi ce diagnostic chez des personnes qui consultent pour un autre motif car cette pathologie diffuse du tissu élastique n’est certainement pas aussi rare qu’on le dit.

Nous avons fait une étude épidémiologique sur 124 des personnes suivies par le service.

Il s’agit principalement de femmes sans que ceci ne trouve une explication génétique.

 

 

Le diagnostic qui, dans la totalité des cas pourrait être fait dès les premières années de la vie est fait majoritairement entre 20 et 40 ans. Ceci va s’améliorer de fait puisque la découverte d’un SED dans une famille entraîne le dépistage précoce chez les enfants.

 

 

Certains signes sont particulièrement évocateurs et doivent être recherchés systématiquement devant une épaule mobile; Ils ont au nombre de cinq : douleurs, hypermobilité, asthénie, fragilité cutanée (ecchymoses surtout), troubles proprioceptifs.

 

 

Les subluxations et luxations occupent une part importante (elles sont présentes dans 80 % des cas) dans la symptomatologie et sont à l’origine de sensations étranges rapportées par les patients de corps dissocié, d’avoir un "corps-robot". Il faut savoir et ceci est pratiquement ignoré du corps médical qu’il y a des troubles proprioceptifs importants (probablement du fait de la mauvaise qualité des informations transmises par les capteurs intra ligamentaires) allant jusqu’à des pseudoparalysies, ce qui relative encore davantage les effets de la chirurgie fonctionnelle. Le lâchage d’objets, les chutes par dérobement, sont fréquents. Les douleurs sont habituellement associées ajoutant encore à la limitation fonctionnelle. Les subluxations (toutes articulations comprises) représentent l’une des manifestations parmi les plus fréquentes. L’épaule n’étant l’articulation la plus concernée que si on la compare aux doigts, aux genoux, aux hanches ou aux mâchoires.

 

Prescriptions médicales types pour un SED

Orthèses de repos des mains pour la nuit et le jour (à utiliser après une activité en prévention des douleurs).
Orthèses plantaires (ARC +voûte)
Ceinture lombaire lombacross
Orthèse relève-dos Lombax-Dorso.
Contentions élastiques type « brûlés », du tronc avec gilet intéressant ou non les coudes (avec ou sans épaulières), du bassin, et des cuisses et des jambes ("corsaire"), chevillières, gantelets, écharpe de Montréal, support du MS.
Genouillères (Silistab ou Ligaflex)
TENS véritable test thérapeutique
Flector-Tissugel
Kinésithérapie de renforcement strictement isométrique des racines.
Ergothérapie de la vie quotidienne et sociale.
Matelas et coussin anti-escarre.
Antalgiques, par voie générale, si besoin.

 

Conclusions

Devant une hypermobilité de l’épaule, il convient d’évoquer systématiquement le diagnostic d’une pathologie diffuse du tissu élastique. Le cadre nosologique du Syndrome d’Ehlers-Danlos est en cours d’évolution et la frontière entre les formes discrètes sans grand retentissement fonctionnel et les formes sévères ou très sévères est insensible. L’évolution est imprévisible et ne va pas nécessairement dans un sens défavorable, surtout avec la mise en place d’un traitement de Médecine Physique bien un syndrome familial et la présence d’autres cas dans une même famille est un argument solde pour un diagnostic qui s’appuie seulement sur des éléments cliniques. L’histologie, elle-même, ne peut aider, contrairement à quelques idées reçues.

Le diagnostic est d’importance car l’échec de la chirurgie est habituel sur le plan orthopédique. De plus s’ajoutent les difficultés de cicatrisation cutanée (désunion, retards de cicatrisation, chéloïdes).

 

Bibliographie

Beighton P., De Paepe A., Steinman B. & al., « Ehlers-Danlos syndrome : revised nosology », Villefranche 1997, am. J. Med, Genet, 1998, 77, 33-7.
Hamonet Cl., « Prologue », in « Le corps mal-entendu, un médecin atteint d’une maladie rare témoigne » de Marie-Hélène Boucand, Vie Chrétienne, Paris, 2005.
Boulanger A., « Le syndrome d’Ehlers-Danlos, intérêt du diagnostic précoce et apports de la Médecine de Rééducation », Thèse de Médecine, Faculté de Médecine de Créteil, 2001.
Hamonet Cl., Dassouli A., Kponto-Akpabie A., Boulay Ch., Macé Y., Rigal C., « Une pathologie mal connue, source d’errances diagnostiques et thérapeutiques : le syndrome d’Ehlers-Danlos. Apports nouveaux de la médecine de Rééducation. » Entretiens de Bichat, Médecine. Paris, Expansion scientifique française, pp. 6-9, 2001.
Hamonet Cl., Boucand H., Dassouli A., Kponton-Akpabie A., Boulay C., Boulanger A., Macé Y., Rigal C., Magalhaes T., « Apports de la médecine physique et de Réadaptation chez les personnes avec un Syndrome d’Ehlers-Danlos », Encyclopédie médico-chirurgicale, 26-478-A-10, 2003, 11p.
Hamonet Cl., Petitbon A., Kponton-Akpabie A., Laouar R., Mazaltarine G., Sobhani A., Joseph C., Menzel P., Loche C.M., Yiou A., D’Ortho M.P., Jan F., « Un syndrome douloureux mal connu et trompeur en MPR : le syndrome d’Ehlers-Danlos, à propos de 143 cas », 21ème Congrès de la Société française de Médecine Physique et de Réadaptation, Rouen, 19-21 octobre 2006.
Soldati Guillaume, « Apports et utilisation de l’électrostimulation nerveuse transcutanée dans les douleurs du syndrome d’Ehlers-Danlos » ; thèse pour l’obtention du Doctorat en Médecine, Faculté de Médecine Pierre et Marie Curie, Université Pierre et Marie Curie (Paris 6), année 2010.

 

Mots-clés : épaule mobile, syndrome d’Ehlers-Danlos, contentions élastiques, ergothérapie, Médecine Physique et réadaptation, chirurgie fonctionnelle.