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Claude Hamonet

 

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« Et, en effet, puisqu’on doit discourir des choses et non pas des mots, et que la plupart des contrariétés s’ensuivent de ne pas entendre, et d’envelopper dans un même mot des choses opposées, il ne faut qu’ôter le voile de l’équivoque et regarder. » (Molière, Préface de Tartuffe)

De l’infirmité aux situations de handicap

Communication au colloque
Handicap, un autre regard ?
Loi du 11 février 2005, 10 ans après.

20 et 21 janvier 2015 ; Le Liberté à Rennes
Evénement proposé par le Le Centre de Recherches en Psychologie, Cognition, et Communication, Université Rennes 2, avec le concours de la Maison des Sciences de l'Homme de Bretagne.
Inscriptions : Mme Yveline Laverret – MSHB – Université Rennes 2 – Bât. I Place du recteur Henri Le Moal – CS 24307 – 35043 Rennes cedex.

 

La notion de handicap continue à faire l’objet de débats répétitifs dans lesquels les désaccords tiennent avant tout au fait que les mêmes mots ne désignent pas les mêmes choses. Le débat sur la notion de handicap apparaît pourtant comme fondamental pour la société, au même titre que le sexe et la mort. Il met en jeu cette notion qui est la trame même d’une société: le lien social. Il pose, de façon aigue, la notion de normalité, de norme sociale, d’inclusion et d’exclusion et apparaît comme l’un des régulateurs de l’équilibre social et de l’égalité des citoyens. La question est particulièrement importante pour les médecins qui se placent, de fait, en arbitres du normal et du pathologique selon des critères basés sur la physiologie, véritable Droit Canon de la médecine (Georges Canguilhem), plutôt que sur des données sociologiques et anthropologiques.

Les croyances, les préjugés, la représentation de l’infirmité dans le milieu familial et social dans lequel la personne a grandi jouent un rôle essentiel dans sa représentation mentale de l’infirme et de l’infirmité et sur le sens donné aux mots qu’il utilise pour en parler. Il apparaît comme primordial de faire avancer ce débat par une clarification des concepts et du vocabulaire utilisé pour en parler. Ceci permettra d’identifier clairement les personnes concernées avec leurs besoins et de définir les moyens spécifiques nécessaires pour qu’elles soient à égalité de chance avec « les autres », c’est-à-dire avec tous. Il est fondamental pour nous situer au sein de la santé et de la société.

Un nouveau langage fonctionnel est à inventer pour enrichir la séméiologie médicale mais, ce langage d’interface doit utiliser des mots compréhensibles de tous les acteurs de la réadaptation : le patient et ses proches d’abord, les travailleurs sociaux mais aussi le monde scolaire, le monde du travail, en fait toute la société. C'est-à-dire que, non seulement, il faut le faire adopter par les médecins et les autres professionnels de santé mais aussi par tous les acteurs sociaux.

 

Les mécanismes culturels de l’exclusion par l’infirmité

Le corps infirme et la personne

Infirme vient du latin firmus, ferme. Infirmus signifie non ferme, non solide donc faible, fragile. Ceci est à l’origine d’infirme mais aussi, en français, d’infirmière. Cette dénomination négative est associée à des représentations dégradantes de pauvreté (mendiants) et/ou de malhonnêteté (voleur). Il y a amalgame entre « l’a-nomalie », ou la différence apparente du corps, et une prétendue dégradation de l’âme.

Ainsi se trouvent confondues l’intégrité corporelle, reconnue comme une norme sociale, et les capacités d’un être humain donc ses aptitudes à jouer le rôle que l’on attend de lui. Cette capacité à être digne de ce rôle est cette valeur impalpable qui s’appelle aussi l’honneur ou la dignité. Le lien entre l’honneur et le corps est inscrit dans l’organisation des sociétés humaines depuis le début de l’Histoire de l’humanité avec son corollaire la souillure : perdre son honneur c’est être souillé.

De la souillure à l’impureté. Introduction du sacré dans les mécanismes de l’exclusion du corps infirme.

Les religions ont donné un sens sacré à l’infirmité. Dans la Bible, les différentes expressions apparentes de l’infirmité ou altération visible de l’aspect corporel apparaissent clairement comme des stigmates d’impureté : « Tout homme qui a en lui une tare ne peut approcher, qu’il soit aveugle ou boiteux, défiguré ou disproportionné, ou bien un homme qui a une fracture du pied ou une fracture de la main, ou s’il est bossu ou atrophié, s’il a une tâche  dans son œil, s’il est galeux ou dartreux s’il a un testicule broyé, tout prêtre qui a une tare…ne s’avancera pas pour offrir les sacrifices par le feu à Iahvé. » (La Bible, Lévitique). La lèpre restera longtemps une maladie marquée du  tabou de l’impureté et de l’exclusion sociale. Le Christ, par son baiser au lépreux, a  signifié qu’il brisait un tabou juif et reconnaissait dans celui qui en était victime, en créant ce lien social très fort du baiser, une personne à part entière. Par contre, l’Eglise catholique, en créant les léproseries (ou ladreries) pour y enfermer les lépreux ou ladres a réinventé leur exclusion avec des rituels identiques à ceux de la religion juive.

Après leur disparition en Europe, leur ont succédé les « cagots » (en breton lépreux se dit « cagouz ») ou lépreux blancs qui ont été victimes des mêmes discriminations  sous prétexte d’impureté qui les contraignaient à vivre, entre eux, dans des lieux isolés, à ne se marier qu’entre eux, à ne suivre les processions qu’en dernière place et ceci jusqu’après leur mort puisqu’ils étaient enterrés à part, exclus des cimetières chrétiens. De telles pratiques ont persisté, en France, jusqu’à la fin du 18ème siècle. Exclus professionnellement, certains métiers leur étaient réservés, charpentiers dans le Sud-Ouest de la France, Cordiers (fabricants de cordes pour les bateaux, en Bretagne) qui servaient, parfois à les désigner.

La monstruosité, la difformité, expressions du mal.

Elles sont utilisées pour représenter le mal, le diable en particulier, avec des pieds fourchus, des cornes à l’instar du bouc, une queue, tous symboles de l’animalité, de la bestialité, de l’impureté, de l’inhumain mais aussi de la méchanceté, de la cruauté. Ces êtres monstrueux, mi hommes mi animaux, se retrouvent à l’extérieur des cathédrales chrétiennes. Ils symbolisent le mal qui ne peut entrer dans les lieux, sacralisés et purs.

Les sociétés et l’infirmité.

La plupart des sociétés ont exclu, voire éliminé physiquement les membres de leur groupe considérés comme faibles parce que conformés différemment, c’est le cas des Spartiates mais aussi des Nazis qui ont éliminés systématiquement en hôpital psychiatrique, dans les camps de la mort et jusque dans les écoles allemandes les « anormaux » comme le montrent très bien l’auteur du livre qui porte ce titre et l’anthropologue française Germaine Tillon, elle-même déportée.

Ce rejet des personnes infirmes dans les sociétés traduit un profond malaise existentiel face à la notion de norme sociale et de personne  « normale » et, si on considère la situation actuelle de bon nombre de personnes handicapées, ce qu’elles vivent peut être considéré comme une véritable « mort sociale ».

L’infirme instrument de la charité.

Le pauvre, l’infirme trouvent une utilité sociale puisqu’il permet aux riches de remplir un devoir sacré qui contribuera à leur faire gagner le salut éternel.  Au-delà des lépreux du pont au double à Paris, la silhouette du mendiant à la sortie des églises ou au bord du Gange au moment des ablutions s’est imposée dans le rituel même de la cérémonie dans laquelle, l’infirme a une place et un rôle passif. Il s’agit là d’une figuration sociale et non pas d’une inclusion au sens de la révision récente (décembre 2008) de la Déclaration des Droits de l’Homme.

Médecine et infirmité

La médecine a été influencée par les préjugés sociaux dominants. Ambroise Paré a rédigé : « Le vingt-cinquiesme livre, traictant des monstres et prodiges » dans lequel sont mêlés « un monstre ayant deux têtes, deux jambes et un seul bras » et un personnage avec des ailes semblables à celles des anges, ainsi sont mêlés le mythe et l’observation clinique. Ce n’est que tardivement, à part quelques précurseurs à la fin du 19ème siècle, comme Désiré-Magloire Bourneville, en France, à Bicêtre et Edouard Séguin, en France puis aux Etats-Unis, que les aspects fonctionnels et sociaux  ont été pris en compte, jetant les bases de ce qui sera la Médecine Physique et de Réadaptation qui sera un courant tardif (Rusk, USA, 1947, Grossiord, France, 1949) et  minoritaire dans l’évolution des sciences médicales.

Le concept de santé

Il est essentiel de s’y arrêter car la notion de situation de handicap et de réadaptation rejoint celle d’être en bon ou en mauvais état de santé. La définition de la santé par l’Organisation mondiale de la santé : « un état de bien-être complet physique, psychique et social et pas seulement l’absence de maladie ou d’infirmité », si elle peut paraître utopique par sa formulation de bien-être complet, introduit cependant cette dimension positive qui est nécessaire à la notion de réadaptation et de guérison. Pour l’anthropologue américain Robert Murphy : « les handicapés à long terme ne sont ni malades ni en bonne santé, ni morts, ni vivants, ni en dehors de la société ni pleinement à l’intérieur ». Il introduit le concept de « liminarité » montrant bien que ces personnes sont à la frontière de la maladie et de la santé mais surtout à la frontière de l’exclusion et de l’inclusion. Elles sont souvent rejetées de deux façons : par les médecins car ce ne sont pas (ou plus) des malades et, surtout, par la société car elles ne sont pas tout à fait dans les limites de ce qui est admis comme normal.

On comprend mieux les difficultés des médecins à accéder à cette aventure sémiologique  du handicap et de la réadaptation, lorsque l’on sait que le vocabulaire médical est, par essence négatif. Un signe « positif » pour un médecin est « négatif » pour le patient. C’est sur ces principes qu’est construite la Classification internationale des maladies à l’OMS ce qui ne prédispose pas à favoriser l’approche positive que doit être celle de la réadaptation qui est la réponse aux situations de handicap.

Ainsi être en bonne santé, ce n’est pas seulement le retour à la norme biologique, c’est aussi ne pas être en situation de handicap, c’est être en équilibre avec son environnement social.

 

Naissance de la notion de Handicap

Le mot d’abord

L’arrivée du mot handicap est récente dans la langue française (il est introduit dans le dictionnaire de l’Académie Française en 1913). Il est issu d’un mot anglais (« Hand in cap », « la main dans le chapeau » qui désignait, au 17ème siècle (Samuel Peppys, 1660), une façon d’échanger des objets personnels entre deux individus.

Le concept ensuite

C’est à partir de la notion bien médicale de « chronicité » que s’est construite celle de handicap. En effet, passer à la chronicité c’est, pour la pensée médicale, ne pas guérir au sens biologique et  introduit  la notion d’incurabilité attribuée au 19ème siècle à l’idiotie par Esquirol, l’un des fondateurs de la psychiatrie moderne.

Approche tridimensionnelle du Handicap.

Initiée par l’américain Saad Zergloub Nagy  pour illustrer la notion de chronicité. Nagy  travaillant à l’inclusion professionnelle des personnes en situation de handicap, propose : pathology  impairment  functional limitation  disability. Cette proposition contient déjà les trois dimensions fondamentales qui relient maladie et handicap.

Approche quadridimensionnelle du Handicap. De la maladie aux situations de handicap.

Quatre niveaux doivent être nettement séparés pour définir et identifier clairement le handicap : lésionnel, fonctionnel, situationnel et de la subjectivité,  précisant le schéma  précurseur de Nagy :

 

 

Définition du handicap

« Constitue une situation de handicap le fait, pour une personne, de se trouver, de façon temporaire ou durable, réelle ou subjective, limitée  dans ses activités personnelles ou restreinte dans sa participation à la vie sociale du fait de la confrontation entre ses fonctions physiques, sensorielles, mentales et psychiques lorsqu’une ou plusieurs sont altérées  et, d’autre part, les contraintes physiques et sociales de son cadre de vie. »

 

La mesure du handicap

L’unité de mesure du handicap est, tout naturellement, l’importance de sa compensation selon les termes de la Loi de 2005, c’est à dire de la dépendance soit d’un apport médicamenteux ou aide technique (c’est-à-dire sans intervention d’un être humain) ou aide humaine. Il est commode d’utiliser une cotation de 0 à 4 selon l’importance de l’apport, donc de la sévérité des composantes du handicap.

Cette cotation est utilisable pour les deux niveaux fonctionnel et situationnel. Une cotation à cinq degrés est également utilisée pour les lésions : 0 absence de lésion. 1 : lésion minime. 2 : lésion moyenne. 3 Lésion importante. 4 : lésion très importante. Pour la subjectivité, la même échelle de 0 à 4 est appliquée, laissée à l’appréciation de la personne.

Un tel instrument, facile à utiliser, permettrait une amélioration considérable du fonctionnement des MDPH qui ne disposent pas actuellement de moyen objectif et reproductible d’évaluation pour  attribuer les prestations auxquelles ont droit les personnes en situation de handicap.

La réadaptation

Elle est la réponse aux situations de  handicap.

« La réadaptation est l’ensemble des moyens médicaux, psychologiques et sociaux qui permettent à une personne, en situation de handicap ou menacée de l’être, du fait d’une ou plusieurs limitations fonctionnelles de mener une existence aussi autonome que possible ».

Ainsi la notion de réadaptation est liée à celle d’autonomie, c’est-à-dire de « se gouverner soi-même », avec ou sans dépendance, selon ses propres lois (du grec « otos nomos ») est l’objectif éthique de la réadaptation. Il s’agit ainsi d’aider la personne à retrouver sa liberté.

 

Conclusion

Un lent cheminement a permis de faire progresser les idées sur le handicap, principalement, sous la pression des milieux associatifs internationaux de personnes en situation de handicap. Ces progrès restent trop insuffisants, surtout si on considère l’urbanisation galopante des pays pauvres, créant un cadre de vie très peu favorable à l’inclusion sociale.

Les principaux obstacles sont le poids culturel qui transmet une image négative de la personne en situation de handicap qui est représentée avant tout en mettant en avant ses manques, ses infirmités et la pensée médicale qui valorise une technologie de réparation du corps au détriment de la compensation de l’humain. La personne avec des déficiences (terme médicalisé qui a remplacé celui d’infirme sans en changer vraiment le sens) étant trop souvent reléguée dans le groupe aux contours mal définis des chroniques porteurs du poids historique de l’incurabilité.

Les évolutions conceptuelles que nous avons développées ici : infirme  invalide  handicapé  personne handicapée  personne en situation de handicap, ouvrent une voie nouvelle à une transformation des mentalités et des pratiques.

 

Bibliographie

Cl. Hamonet, Handicapologie et anthropologie, Thèse de doctorat en anthropologie sociale, Université Paris 5 René Descartes, 1993

Cl. Hamonet et T. Magalhaes, Système d’identification et de mesure du handicap (SIMH), manuel pratique, propositions internationale d’identification des handicaps, éditions Eska, Paris, 2000.

Cl. Hamonet, Lettre à Monsieur Jacques Chirac, Président de la République française à propos du handicap et des personnes en situation de handicap, Connaissance et savoir, Paris, 2004.

Cl. Hamonet et M. De Jouvencel, Handicap, les mots pour le dire, les idées pour agir, Connaissance et savoir, Paris, 2005.

Yves Veuillet, Les roues de l’infortune, de la chute à la lutte, L’Harmattan, Paris, 2011.

Cl. Hamonet, Les personnes en situation de handicap, Que Sais-Je ?, PUF, Paris, 2012.

Gotz Aly, Les anormaux, Flammarion, Paris, 2014.