Le site du Professeur Claude Hamonet - François Moutet, la réadaptation médicale et la mer (Nécrologie)

François avait le goût de la liberté et de la vie profondément ancré en lui. Ceci expliquait son amour de la mer et des bateaux qu’il tenait probablement en partie de son père, médecin et marin. C’est aussi le désir de liberté qui l’a conduit à choisir la médecine de réadaptation. Il a commencé à l’apprendre dans des conditions singulières mais exceptionnelles, au centre de Rééducation fonctionnelle de l’Université d’Alger à Tixeraine. C’est là où le hasard d’une rencontre en mer, au large de l’Île de Bréhat, nous avait orienté en nous conduisant jusqu’au ministre de la santé algérien, le Professeur Omar Boudjellab, qui m’avait chargé d’organiser la réadaptation médicale dans son pays. Heureusement, de jeunes médecins sont venus, dans le cadre de la coopération Algéro-française, et de leur service national, rapidement suivis par les Résidents algériens, m’aider dans une entreprise, à priori, incertaine. François était l’un de ceux-là. D’emblée. Il s’est engagé avec son dynamisme habituel, dans les diverses activités du service : consultations, polyvalentes, appareillage des personnes amputées et paralysées (paraplégies traumatiques et séquelles surtout de la poliomyélite qui sévissait alors à l’état endémique), éducation des parents (notamment pour les combattants Polisario), adaptation de la scolarisation des enfants au sein de l’Hôpital, développement du sport (notamment avec les premières courses en fauteuil roulant dans les rues d’Alger, consultations à distance (Kabylie, Mitidja, Hammam Salihine…) pour suivre d’anciens patients dans leur contexte de réinsertion sociale, mais aussi développement des activités culturelles avec création d’un orchestre et participation personnelle de François avec ses talents de guitariste et sa connaissance des chansons populaires bretonnes, introduisant à Tixeraine les belettes et petits lapins au milieu des sangliers qui fréquentaient les allées du service. Rentré en France, il a investi son énergie créative dans la réactualisation d’une structure historique (Hippolyte Pallu 1887 de la réadaptation, initialement destinée aux enfants atteints d’une tuberculose osseuse, implantée sur une pointe enfoncée dans la mer appelée Pen Bron (la tête ou pointe du sein, téton, en breton) qui a donné son nom au service de réadaptation médicale et à son prolongement naturel, la célèbre « croisière de Pen Bron ». Cette croisière apparaît alors comme une remise en valeur de la mer comme « thérapeutique » puisque les religieuses qui accueillaient les enfants atteints de tuberculose osseuse les faisaient naviguer dans des barques au large du Pen Bron, considérant que la proximité de la mer avait un effet sur le Bacille de Koch. François Moutet a su transformer le centre de Pen Bron en un établissement moderne qui s’est articulé avec d’autres établissements bretons importants ayant souvent une histoire identique, liée à la mer, pour réaliser des colloques régionaux très suivis.

Il a créé, à Pen Bron même, un hôtel pour tous, accueillant toutes les personnes en situation de handicap (même très importante) ou non, créant ainsi une « mixité » affichée.

L’ouverture sur la mer et la navigation pour tous, embarquant des personnes avec des limitations fonctionnelles souvent considérables mais qui, dans un bateau ne se trouvaient pas en situation de handicap et étaient libres de naviguer, est l’entreprise la plus remarquable de François Moutet et de son équipe. Nous avons participé, avec des patients venus en transport sanitaire depuis notre service, de l’époque à l’Hôpital Henri Mondor-Albert Chenevier à Créteil. Deux jours de navigation, un débarquement et un hébergement collectif à terre avec une fête gigantesque avec danses et sardines grillées offertes par les pêcheurs de Guérande. 37 croisières ont été réalisées, toutes avec François Moutet. La dernière ayant été annulée à cause de la COVID-19. François nous a quittés mais les croisières vont certainement continuer accompagnées par cet esprit d’aventure et de volonté de donner à tous les meilleures chances dans leur vie qu’il nous a magnifiquement illustré.