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La réadaptation et l’éthique

Claude HAMONET

Médecin Rééducateur, Docteur en Anthropologie Sociale,
Service de Médecine Physique et de Réadaptation, CHU Henri Mondor (94010 Créteil)
Laboratoire d’Éthique Médicale (Professeur Christian HERVÉ), Faculté de Médecine Necker – Enfants Malades – Université Paris 5 René Descartes.

 

1 – Introduction

Depuis plusieurs années, on observe un développement de la notion d’éthique et, tout particulièrement, de bioéthique dans les domaines de la recherche et de la santé.

L’avancée récente, sans précédent, des connaissances en biologie humaine, à travers l’immunologie, la génétique et la biologie moléculaire, a créé de nouvelles situations qui bouleversent les procédures de décision en recherche, en prévention et en thérapeutique.

L’articulation entre le biologique et l’humain doit être revisitée. Les principes moraux et religieux, les divers codes de déontologie n’apportent pas toujours de solutions concrètes et universelles aux choix difficiles auxquels se trouvent confrontés ceux qui ont acquis un pouvoir considérable sur le vivant. Parallèlement, les moyens de diffusion des connaissances, principalement grâce à la révolution informatique et au développement ders télécommunications, permettent une vulgarisation de l’accès à l’information d’une ampleur inconnue et mal maîtrisée.

Les liens entre les professionnels de la santé, les usagers de la santé et la loi ont changé. Les notions de partenariat, de consensus, de comités se sont étendues, les associations de malades ou d e personnes handicapées se sont multipliées. On a vu fleurir les chartes, les codes de bonnes pratiques et les instruments de mesure de la qualité de vie tandis que les demandes de réparation pour responsabilité médicale se multipliaient dans un contexte de « judiciarisation » de la Médecine.

La médecine, qui s’est fondée sur un code éthique (ce qui la différenciait du charlatanisme et des empoisonneurs) avec Hippocrate, puis Maimonide, le médecin de Cordoue, est particulièrement concernée dans son existence même par le mouvement éthique. Il touche son identité même. On peu dire qu’il n’y a pas de pratique médicale sans éthique.

C’est d’abord autour de la biomédecine (génétique, greffes d’organes) que s’est d’abord focalisée la réflexion éthique en Médecine et que le législateur est d’abord intervenu.

Depuis plusieurs années, c’est sur la procréation (sa guidance) et la naissance (sa prévision), la vie (sa qualité) et sur la mort (son mode d’accompagnement) que se concentrent les réflexions éthiques.

Le patrimoine génétique, la fécondation, le dépistage précoce des aspects pathologiques de « l’Homme Biologique », l’accompagnement de la fin de la vie par les soins palliatifs, la mort assistée, sont des thèmes récurrents dans les réunions où il est question d’éthique.

Les réflexions éthiques sur le handicap, les personnes handicapées et fragilisées, la réadaptation sont relativement moins développées que sur ces questions de vie et de mort. Pourtant, ce qu’on a appelé « l’affaire Perruche », mêlant responsabilité médicale, diagnostic prénatal et handicap, a mis sur le devant de la scène médiatique et politique la question fondamentale de la Réadaptation : peut-on vivre avec des situations de handicap ?

Ceci n’a pas été sans influencer, la nouvelle loi sur le Droit des Patients, du 4 mars 2002, son premier chapitre concerne, précisément, le handicap et le droit fondamental de vivre en tant que « personne handicapée ».Par ailleurs, ce texte introduit, au-delà des « réseaux de soins » des textes précédents, la notion de « réseaux de santé ». Ceci facilite l’introduction de la réadaptation avec ses aspects sociaux qui, d’ailleurs, est mentionnée deux fois à la fois sous les termes français de réadaptation et anglais de « rehabilitation » dans ce texte. Ceci est la preuve d’une ouverture et d’une évolution du concept de santé qui ne doit plus être conçu comme l’absence de maladie, de lésion post-traumatique ou « d’infirmité » comme l’avait déjà mentionné la définition proposée par l’OMS dans sa constitution en 1947, mais comme un état de « bien-être ». Ce bien-être, pour avoir un sens, doit être à la fois physique, psychique, sexuel et social. Il ne peut être que relatif, comme l’a souligné René Dubos, tenant compte de la personne mais aussi du cadre de vie dans lequel, le hasard ou le choix l’ont conduit à vivre.

La santé n’est donc pas seulement, comme un courant « scientiste » dominant en médecine aurait tendance à le faire croire, une question de biologie et d’organes ; elle est aussi une affaire de capacités humaines et d’autonomie, donc de liberté de vivre et de choisir sa vie, compte tenu des situations rencontrées et de subjectivité (ou vécu) de la part de l’individu et de ses proches. Cette part de l’humain dans la pratique du métier de médecin est aujourd’hui trop souvent négligée, oubliée ou mal abordée.

Dans un tel contexte, la réadaptation apparaît comme un aspect incontournable dans le concept moderne de santé en y introduisant à la fois les liens nécessaires entre santé et société et ses dimensions humanistes propres.


2 - Les liens du concept de réadaptation et de la médecine Physique.

Le terme de réadaptation est relativement récent dans la langue française puisqu’il n’existe pas dans l’édition du Littré de 1875 (1) et que le nouveau petit Robert (2) situe son apparition en 1897 et pour le verbe réadapter en 1899. Il est lié à celui d’adaptation qui sous-tend la notion d’éducation. Le rapport de l’Office des personnes handicapées du Québec (OPHQ) de 1984 « À parts égales » (3) propose d’utiliser le terme « adaptation-réadaptation » qui correspond mieux à la réalité.

Le Professeur André Grossiord, dans sa leçon inaugurale du 13 mars 1968 (4), disait : « J’en dirai autant du mot « réadaptation » (il venait d’expliquer le sens du mot rééducation) dont la portée me paraît plus générale, impliquant aussi les démarches de la réadaptation sociale. En fait, ces deux termes nous suffisent et nous pouvons laisser « réhabilitatation » au vocabulaire pénal. »

En handicapologie, « Rehabilitation » est anglais, même si son origine, comme la majorité des mots qui constitue la langue de Shakespeare est initialement française.

La réadaptation apparaît, non pas comme une fin en soi mais comme un ensemble de moyens utilisés dans un but unique : la réinsertion ou réintégration sociales et leurs synonymes la participation sociale et le nouveau né de la sémantique du handicap : l’inclusion. Elle sous-tend une vision globale de la question enveloppant nettement le cadre social dans ses actions.

Le rapport « À parts égales » en propose une définition complète mais trop complexe dans son expression pour être opérationnelle : « L’intervention de réadaptation désigne le regroupement des différents moyens permettant à la personne ayant déjà vécu une adaptation dite « normale » de développer ses capacités en fonction des nouvelles caractéristiques dues à l’apparition d’une déficience ou d’une incapacité différente » (3).

Nous en proposons une plus simple « La réadaptation est l’ensemble des moyens médicaux, psychologiques et sociaux qui permettent à une personne en situation de handicap ou menacée de l’être, du fait d’une ou plusieurs limitations fonctionnelles de mener une existence aussi autonome que possible » (5,6). Ainsi la notion de réadaptation est reliée à celle d’autonomie qui apparaît comme l’objectif même de la réadaptation. Se gouverner soi-même selon ses propres lois (« otos nomos ») est l’objectif éthique de la réadaptation. C’est-à-dire celui, qui consiste à redonner à l’homme sa pleine au mieux de ses capacités, l’estime de soi et la confiance en soi et sa dignité. Cette autonomie n’est acquise dans certains cas qu’au prix de dépendances personnelles (orthèses, aides à la marche) ou situationnelles (adaptation du logement ou de la voiture) qui ne doivent pas être perçues comme les stigmates d’une faiblesse ou d’une infériorité comme cela est trop souvent le cas, mais comme les symboles d’une liberté retrouvée.

La réadaptation apparaît ainsi avec ses deux versants : l’un est médical et englobe la médecine physique ou médecine de la rééducation ou de la compensation des dysfonctions humaines (anciennement : rééducation fonctionnelle), l’autre versant articulé avec le premier, est celui de la réadaptation sociale. La formule américaine de « Rehabilitation Medicine », utilisée pour désigner la discipline et les services de cette discipline est excellente.

Howard Rusk, le fondateur américain, en 1947, à New York, du premier service de « Rehabilitation Medicine » et de la première « Rehabilitation Chair » avait parfaitement compris l’importance du concept de Réadaptation- Rehabilitation comme socle fondateur de la médecine de rééducation. Il insistait aussi beaucoup sur l’inspiration humaniste (ou déjà éthique !) qui devait être érigée en une véritable méthode pour lui donner sa légitimité : « To believe in rehabilitation is to believe in humanity ! » (7).

C’est un processus souvent long qui doit être initié le plus tôt possible dès l’installation des limitations fonctionnelles et qui doit être continu, voir prolongé tout au long de la vie. Il implique que la personne concernée soit apte à évoluer dans son milieu habituel (intérêt de la mise en œuvre de méthodes ambulatoires) dès que possible et soit au maximum libérée des contraintes de soins pour pouvoir se consacrer à sa vie.

La définition européenne de la Médecine Physique et de Réadaptation résume parfaitement bien cette notion moderne définit parfaitement la double mission médicale et sociale du « médecin-rééducateur » qui est, de fait, aussi « réadaptateur » et sera amené à l’être de plus en plus : « La Médecine Physique et de Réadaptation (MPR) a pour objectifs de mettre en œuvre et de coordonner toutes les mesures visant à prévenir ou réduire au minimum inévitable, les conséquences fonctionnelles, subjectives, sociales et, donc, économiques d’atteintes corporelles par maladie, accidents ou, du fait de l’âge. »

Cette définition résume toutes les dimensions de la démarche globale, médico-sociale de la réadaptation, chacune avec ses aspects éthiques particuliers. Celle du corps déformé ou mutilé, douloureux qui est parfois ressentie comme souillé ou bien mort, voire même étranger et monstrueux. Lui redonner une nouvelle validité implique un effort d’innovation et de créativité autant de la part des rééducateurs que de l’intéressé et de son entourage. Celle de l’Homme qui est imité dans une ou plusieurs de ses fonctions qui se sent faible et diminué pour lequel un nouvel état fonctionnel est à trouver dans l’espoir mais pas dans l’illusion. Celle de l’Homme en situation qui est souvent exclu parce que différent, perçu comme dangereux, en tout cas comme dérangeant ; celle surtout de l’Homme avec sa subjectivité, son vécu de l’ensemble de l’événement handicap depuis sa constitution souvent dramatique, voire culpabilisante, les souffrances endurées et surtout les espérances qu’il met dans la réadaptation dont il sera le principal acteur. C’est là un des aspects particuliers à considérer sous un angle éthique (8) car il est valorisant pour la personne réadaptatée qui ne doit pas être « instrumentalisée » et doit bénéficier d’un projet personnalisé, élaboré avec elle. Il peut être à l’origine de la découverte d’une autre façon de vivre qu’elle n’aurait pas rencontrée sans ces circonstances particulières.

Dans ce contexte, le rôle du médecin-rééducateur, véritable « case-manager », selon une formule qui a eu son heure de succès, doit savoir établir un mode relationnel particulier et approcher celui qui n’est pas un « malade » avec une pédagogie qui s ‘appuie autant sur les connaissances de la réadaptation que de l’humain. Ceci nécessite une volonté d’écoute et de se tourner vers l’autre avec une patience infinie et une capacité à trouver le mot qui, tout exprimant de la compensation (ou compréhension), donne la confiance, sinon de l’espoir. Un lien particulier est lié à travers la réadaptation bien faîte entre le médecin, les autres réadaptateurs et les personnes réadaptées. C’est que l’équipe de réadaptation a en son centre la personne handicapée et que sa famille, ses proches doivent être directement associés. Ce qui fait le succès de la réadaptation c’est précisément cette relation forte, chaleureuse et engagée.

De ce point de vue, des progrès sont encore à faire pour la médecine de rééducation qui est trop marquée par le schéma médical et hospitalier du soin. Les médecins-rééducateurs doivent se rendre eux-mêmes sur place au domicile des personnes en réadaptation et ne pas se contenter d’y envoyer des ergothérapeutes, ils doivent aller sur le lieu de travail avec le médecin du travail et, si besoin, aller plaider la cause de leur patient auprès d’un maire, d’un employeur, d’un expert judiciaire ou d’un tribunal de la sécurité sociale. Ils doivent eux-mêmes animer des groupes de réadaptation à l’effort, en école du dos, en école des chutes, lors de pratiques de sport etc. Bref, ils doivent s’engager aux côtés de leurs patients et devenir des acteurs sociaux de terrain y compris au sein de leurs municipalités ou d’associations. Dans ce sens, on peut dire qu’il y a une démarche médicale éthique de réadaptation du fait d’un lien médico-social particulier et fort avec un échange plus complet que dans la relation médecin-malade traditionnelle. Ceci est valorisé par certains auteurs nord américains tels que Szasz (9) dans son livre remarquable « La théologie de la médecine. Fondements politiques et philosophiques de l’éthique médicale », dans lequel il regroupe des témoignages de médecins. Il insiste beaucoup sur « les aspects rituels et religieux de certaines pratiques médicales ». La réadaptation n’en est pas exempte mais au-delà du magique, ce que le patient cherche souvent c’est la confiance, la chaleur d’un échange humain qui le rassure ou l’aide à faire un parcours difficile. On rejoint ici ce que déclarait Howard Rusk. À l’inverse, la réadaptation peut aussi avoir la fascination de la technologie et de ce qui l’accompagne. C’est le moment de se remémorer la phrase de Szasz : « …J’estime que l’on devrait respecter les médecins pour leur savoir, mais se méfier d’eux quand ils tendent à exercer le pouvoir. » (9)


3 - Des causes de l’exclusion de la réadaptation médicale et sociale.

Peut-on, en tant que personne en situation de handicap, être exclue du système de la réadaptation ? Nous avons tenté, en nous appuyant sur notre expérience de médecin-rééducateur en milieu hospitalier de court séjour, de répertorier les causes, habituellement avancées, de façon plus ou moins explicite pour refuser l’hospitalisation. Nous avons déjà rapporté ces faits dans la revue Réadaptation (10).

L’âge : c’est l’un des obstacles le plus souvent rencontré. Curieusement, c’est l’âge. Et pourtant, bien des personnes handicapées âgées devraient être prioritaires plutôt que d’être systématiquement, quel que soit le type d’atteinte, dirigées vers des services de suite, généralement moins équipés en rééducation et, sans réadaptation de qualité.

Le diagnostic étiologique et le pronostic. La Médecine de Rééducation qui a pour vocation ce que les médecins appellent encore « la maladie chronique » est pourtant extraordinairement réticente face à la prise en charge des personnes qui ont cette étiquette péjorative et des personnes atteintes de sclérose en plaque, de maladie de Charcot. Il en est de même pour des états cancéreux et les personnes atteintes SIDA (il y a eu, cependant, de ce côté quelques améliorations dans les comportements et une meilleure tolérance).

La sévérité de l’état lésionnel et fonctionnel. Les personnes dans le coma, les personnes avec de multiples atteintes fonctionnelles sont perçues de façon péjorative. Il est très difficile de leur trouver un lieu d’accueil pour leur rééducation.

Les conditions sociales. Les cas d’exclusion et de refus sont ici l’isolement familial, la précarité des ressources et de l’habitat (ou son absence), l’incertitude sur le statut social (asile territorial, attente de régularisation pour un étranger, immigration récente, difficultés linguistiques, couverture sociale insuffisante).

Les comportements considérés comme déviants ou addictifs : usage de drogues, alcoolisme, agressivité, comportements sexuels réprouvés.

La grande cause reste d’exclusion du soin de réadaptation et l’ignorance quasi générale du corps médical vis-à-vis de la rééducation et de la réadaptation.. Ils la réduisent, le plus souvent, à de la kinésithérapie. Ils la prescrivent surtout dans une vision « mécaniste », à la suite d’un traitement de chirurgie orthopédique (11), lors d’un encombrement respiratoire ou devant un mal de dos. L’introduction d’un module handicap dans le nouveau programme des études médicales qui se met en application est de nature à changer cela à condition qu ‘il soit bien interprété


4 - Apports de la réadaptation à l’éthique

Ainsi le concept global, médico-social de la réadaptation est d’un apport fondamental si l’on veut reconsidérer la santé sous un angle à la fois plus réaliste (augmentation du taux de handicap parmi la population qui fait appel au système de santé) c‘est-à-dire que le médecin-rééducateur devrait être systématiquement consulté dans de tels cas. C’était le cas de cette femme, myopathe, mère de famille, et sous assistance respiratoire permanente que l’on ne voulait pas opérer d’un cancer du sein de crainte qu’elle ne « supporte » pas l’anesthésie du fait de la défaillance respiratoire. Après avoir expliqué aux anesthésistes que de toutes façons, elle était déjà sous ventilation dirigée, ils ont accepté et tout s’est bien passé.

La réadaptation apporte un autre modèle de guérison puisqu’elle propose une démarche de thérapie médicale et de prestations sociales sans exclusive, même lorsque biologiquement il n’y a pas de retour à l’intégrité corporelle. Elle propose, en fait, du « bien-être » en conformité avec la définition « positive » de la santé de l’OMS. Elle est cependant moins utopique qu’elle celle d’un équilibre relatif entre l’état de la personne et les ressources de l’environnement dans lequel elle vit.

Ainsi la notion de guérison change et l’on peut être paraplégique et « guéri », c’est-à-dire réadapté, même en l’absence de récupération lésionnelle. À une vision aujourd’hui « négativiste » de la médecine, destructrice de l’Homme et de la société par la « fabrique iatrogène » de personnes handicapées dont le mal de dos est l’exemple le plus démonstratif. Il n’est pas éthiquement acceptable qu’un patient sorte plus découragé du bureau du médecin qu’en y entrant, ni qu’il s’entende dire : «  il n’y a rien à faire. Il faut vivre avec ! ».

La notion de réadaptation vient compléter le schéma de la maladie : signes  diagnostic  traitement avec le schéma du handicap : handicap  évaluation  Réadaptation. Maladie et handicap entraînent donc des démarches différentes et un grand drame souligné par l’OMS, c’est que les professionnels de santé dans le monde traitent les personnes en situation de handicap comme des malades. Ceci a encouragé cet organisme à développer des programmes de réadaptation communautaire dans les pays pauvres s’appuyant sur la population et les proches en autorééducation et non pas sur les professionnels de la santé. La démarche est à retenir et à adapter dans d’autres pays plus favorisés. Mais il faut faire évoluer les professionnels et les sortir de leur « carcan » de soignants avec leurs rites souvent inutiles et leurs croyances non évolutives. C’est donc un nouveau concept qui doit être créé pour faire face avec plus d’efficacité aux besoins croissants en nombre et en diversité auxquels doit faire face la Réadaptation moderne.

Il faudra aussi proposer une autre image du soin et l’action sociale de la médecine que celle qui est soutenue par l’idéologie de cette nouvelle « figure » bio-écologique de « santé parfaite » que dénonce Lucien Sfez (12).

Cette démarche a été décrite dans deux ouvrages de médecins rééducateurs, leurs titres sont déjà un programme : l’un (Marc Maury) est un pionnier après avoir été un « survivant » en tant que tétraplégique avec « Le plongeon dans la vie » (13), l’autre (Alain Yelnik) a choisi « L’homme reconstruit » (14).
Si elle joint la positivité pour l’homo sapiens sapiens, elle l’est aussi pour l’homo economicus, puisque la démarche de réadaptation, non seulement génère des économies de durées de séjour et de consommation médicale en général, elle génère au prix de quelques investissements (en aides techniques par exemple) des économies. Elle génère aussi de l’économie sociale en créant de nouveaux emplois, de nouvelles techniques et de nouveaux marchés. De plus, elle s’intègre dans l’une des démarches sociales les plus importantes de notre époque et constitue en cela un enjeu politique majeur servant de guide pour une société mieux adaptée et moins « à risques » pour tous.

Le modèle anthropologique qui lui sert de support permet de redéfinir la notion de personne et de besoins de la personne de façon cohérente et applicable dans beaucoup de domaines comme celui de la douleur ou de la fin de vie par exemple.



Conclusion

La réadaptation (à condition de ne pas la restreindre à la rééducation) apparaît comme une démarche fondamentalement éthique centrée sur la valorisation de la personne et son retour dans la société des Hommes. Elle introduit une autre façon, très moderne, d’aborder la santé et la société qui, dans la crise de spiritualité que nous vivons constitue un immense espoir. Il faut cependant que les modalités de la Réadaptation évoluent : trop de sélection des usagers, pas assez de structures, pas assez de services mobiles de réadaptation et d’insertion dans les Hôpitaux de court séjour (action précoce) et au domicile. Réadapter une personne handicapée n’est pas la même démarche que de traiter une maladie. Elle rencontre de nombreux obstacles affichés (hyperspécialisation, efficacité) ou cachés (désir de d’exclure ceux qui sont différents), ou à peine (eugénisme). L’auteur « bio médecin » de « l’Homme cet inconnu ». La formule « Les anormaux freinent le développement des normaux ») est peut-être en train de recruter de nouveaux adeptes, surtout si dans notre société du « tout économique », on considère à tort, crime suprême, qu’ils coûtent cher !


Bibliographie

(1) Littré É., Dictionnaire de la langue française, Librairie Hachette, Paris, 1875

(2) Nouveau petit dictionnaire Le Robert, dictionnaire de la langue française, Dictionnaires Le Robert, Paris, 1993.

(3) 0ffice des personnes handicapées du Québec (OPHQ), «  À parts égales », 1984,

(4) Grossiord A., « Leçon inaugurale, chaire de clinique de rééducation motrice, mars 1968 », Masson, Paris, 1968.

(5) Hamonet Cl., « Les personnes handicapées », Que Sais-je ?, Presses Universitaires de France, Paris, 1990, 1995, 2000.

(6) Hamonet Cl., Jan F. « La réadaptation ambulatoire, un concept innovant », in « la réadaptation ambulatoire à l’effort en pathologie cardio-vasculaire », par J.-C. Chignon et F. Jan, Monographies de cardiologie, Éditions Masson, Paris, 1998.

(7) Rusk H., « A World to Care For. The autobiography of Howard Rusk », Ramson House, New York, 1977, New York.

(8) Hamonet Cl., « Éthique et handicap. À propos de : intimité, secret professionnel et handicap », Journal de Réadaptation médicale, 99, 19, n°4, pp. 115-117.

(9) Szaz Thomas S., « La théologie de la médecine. Fondements politiques et philosophiques de l’éthique médicale », Petite bibliothèque Payot, Paris, 1980.

(10) Hamonet Cl., Gahlouz F., « les exclus de la Rééducation-Réadaptation », Réadaptation, n° 498, mars 2003

(11) Hamonet Cl., « Essai d’anthropologie de la chirurgie fonctionnelle », in « Éthique des pratiques en Chirurgie », par Ch. Hervé, Les cahiers de l’éthique médicale, année 2003, Lharmattan, Paris, 2003.

(12) Sfez L., « La santé parfaite ». Critique d’une nouvelle utopie.

(13) Maury M., « le plongeon dans la vie », Bayard Éditions, Paris, 2003.

(14) Yelnik A., « L’Homme reconstruit, de la réparation à la réinsertion », Bayard Éditions, Paris, 1995.


Résumé

La réadaptation est souvent oubliée dans le courant général de développement de l’éthique que nous observons autour de nous. La réflexion éthique, en accord avec l’utopie de la « santé parfaite » et le mythe du tout bio-écologique dénoncés par Lucien Sfez, est concentrée sur les aspects de biologie moléculaire, de génome, de diagnostic néonatal, de greffes d’organes, de mort et de sécurité sanitaire. Et pourtant, Elle introduit une autre façon, très moderne, d’aborder la santé et la société qui, dans la crise de spiritualité que nous vivons constitue un immense espoir